Affichage des articles dont le libellé est travailleurs chinois. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est travailleurs chinois. Afficher tous les articles

25 octobre 2021

Victor Ségalen la Chine, la Marine et les travailleurs chinois

Victor Ségalen  la Chine, la Marine et les travailleurs chinois

L'histoire des travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale en France concerne les 140 000 Chinois venus travailler en France à partir de 1916, en majorité dans l'armée britannique (au sein du corps de travailleurs chinois) pour effectuer des travaux de terrassement, 40 000 étant sous autorité française, à l'arrière du front, dans des usines. Victor Segalen participera activement à leur recrutement.

La voie des esprits Tombeaux des Ming
photo JM Bergougniou

Sinologue, élève d’ Edouard Chavannes , et comme lui également archéologue, Victor Segalen est aussi romancier, et surtout poète. C’est cependant la médecine qui l’a conduit en Chine où, au cours de trois missions dans la période pourtant troublée des années 1910, il a effectué des découvertes fondamentales qui ont bouleversé les connaissances de la statuaire chinoise.





Victor Segalen est breton, né le 14 janvier 1878 à Brest. Il fait ses classes chez les Jésuites, passe son bac en 1894, et commence en novembre 1895 l’année préparatoire aux études de médecine à Rennes. Reçu premier, il prépare l’Ecole de médecine navale de Bordeaux où il est reçu en 1898.

 


Tout en lisant beaucoup et se passionnant pour la musique, il s’intéresse plus particulièrement à la psychiatrie et s’oriente peu à peu vers l’étude des maladies mentales, et leurs rapports avec la littérature.


Le 29 janvier 1902, il soutient brillamment sa thèse, sur les hommes de lettres du 19e siècle 





 Détaché en Chine : trois missions, trois grands voyages

De Marseille à Pékin

En juin 1909, il est détaché en Chine pour deux ans. Il quitte Marseille fin avril ; le 29, il écrit à sa femme qu’il est prévu de faire une escale de 22 heures à Colombo et qu’il compte aller voir « son ancien collège bouddhiste » - il y sera le 11 mai, un peu étonné de retrouver le temple achevé « neuf et clinquant », mais ravi de revoir le père qui le reconnaît tout de suite. Il lit Claudel et voit par ses yeux Ceylan et ses gens « aux yeux doux qui s’en vont nus, par les chemins couleur de chair de mangue. » .
Le 5 mai, il est à Aden et retrouve le fantôme de Rimbaud comme à Djibouti au retour de Polynésie : « Mon passage ici est tout plein de Rimbaud… Rimbaud est une perpétuelle image qui revient de temps en temps dans ma route. »

Tombeau des Ming photo JM Bergougniou

De Hong Kong, il passe par Shanghai, remonte le Yangtsé par Nankin et Hankou, et de là prend le train vers le nord. Il arrive à Pékin le 12 juin. « Enfin Pékin. Ma ville ».

Finalement, ils quittent Pékin le 9 août, à cheval, avec une caravane de mules et d’ânes pour porter les bagages. Ils traversent le fleuve Jaune, puis le Shanxi le long de la Grande Muraille, arrivent à Xi’an le 20 septembre, puis à Lanzhou le 24 octobre. De là, ils gagnent Chengdu.


Le 15 décembre, ils embarquent sur une grande jonque pour descendre le Yangzi en passant par Chongqing, où ils arrivent le 1er janvier 1910. 



On doit à Victor Segalen et à son compagnon de route Gilbert de Voisins deux livres très différents. 







Si écrit en Chine, de Voisins, est un véritable journal de voyage, Briques et Tuiles en revanche est un amalgame de récits réalistes et de visions hallucinées, une victoire de l'imaginaire et de la poésie, sous un titre évocateur inspiré par le vocabulaire de la pierre, qui est récurrent dans l'œuvre de Segalen. Rédigées à l'étape du soir, ces notes seront reprises par la suite pour donner naissance à des textes élaborés.


Lors de son passage à Tchong-King , il va nous décrire la flotille des canonnières.


Le second Doudart de Lagrée fut une canonnière fluviale, construite aux Chantiers de la BROSSE et FOUCHE, à Nantes, et mise à l’eau en février 1909. Déplaçant 183 tonnes Washington, il avait 54,40 m de longueur, 7 m de largeur et 1,40 m de tirant d’eau. Deux machines alternatives développant 900 CV pour une vitesse de 14 nd.


"L'Olry et le Doudart - le premier coque solide , qui survivra à celle du second. Chaudières à bout, mais machines intactes. Mauvais logement. Pas de place autour du treuil avant (mais très fort). Mauvais arrière. Pourrait faire le bas fleuve (lac P'Oyang). 



"Le Doudart, lui, vient d'être brillant : remontée d'Yi-Tch'ang à Tchong-king en quarante et une heures. Mais c'est presque un racer : type beaucoup trop léger, assez mal monté à Chang-hai. Cornières et tôles tordues d&jà, dans les hauts. Avant en cuiller (pour glisser sur les tourbillons) (Renfoncé déjà sur le bâbord !). Bâti en haut comme un cantilever. Beaux logements style wagon-lit. (Mais pour cela beaucoup trop de fardage.) Hélices sans voute, avec vannes mobilesà l'arrière, permettant de varier, selon les fonds, la quantité d'eau qu'on charrie à l'arrière -quatre gouvernails. Deux machines de 500 chevaux. Coque beaucoup trop faible... - En somme le Doudart serait un geste brillant réserve au Commandent Audenard, mais un outil faible pour ses successeurs."

"La dernière unité de l'escadre est une jonque à vapeur néo-Ta Kiang(dont les chaudières authentiques gisent sur le quai, vendue 24F !) aménagée par ledit Commandant ( un mois après son arrivée tous les plans du Doudart étaient faits...) et qui réalisant 3 à 4 noeuds au maximum dut partout se touer comme une qui n'aurait pas de tourne-broche dans le ventre."



Briques et Tuiles - Le grand fleuve


Ils sont à Shanghai le 17 février. Pendant tout le voyage, Segalen écrit à sa femme et à ses amis, ces lettres détaillées constituant un merveilleux journal de voyage, et contenant aussi des ébauches de ses œuvres à venir. Mais il a aussi rapporté de précieuses photographies qui permettent de visualiser ce qu’il raconte dans ses lettres – y compris la fameuse tête de Bouddha découpée dans un vieux temple du Shanxi 


L'expédition en Chine centrale de 1909 à 1910 inspire à  Ainsi, le récit de la visite aux tombeaux des Ming deviendra une des plus belles stèles : "Aux dix mille années".


En 1908, il part en Chine où il soigne les victimes de l'épidémie de peste de Mandchourie. En 1910, il décide de s'installer en Chine avec sa femme et son fils. La première édition de Stèles voit le jour à Pékin en 1912. 


Stèles photo JM Bergougniou
Il entreprend en 1914 une mission archéologique consacrée aux monuments funéraires de la dynastie des Han. Cette étude sur les sculptures chinoises ne sera publiée qu'en 1972 (Grande Statuaire chinois). À ce titre, et en ce qui concerne la littérature, il renouvelle le genre de l'exotisme alors encore trop naïf et ethnocentrique.

La cité interdite photo JM Bergougniou

En Chine, il rencontre un des rares Européens qui s'y trouvaient alors, et qui le marque beaucoup, le sinologue belge Charles Michel qui lui inspire le personnage de René Leys.

Hôpital maritime Rochefort
photo JM Bergougnjou
Segalen rejoindra Yvonne à Saigon le 7 septembre, ils arriveront à Marseille le 6 octobre. Il avait demandé à être envoyé dans les « régiments de marins qui se battent dans l’est », mais il est d’abord affecté à l’hôpital de Rochefort, puis en novembre retourne à Brest. L’administration militaire avait besoin de médecins dans les hôpitaux pour soigner les dizaines de milliers de blessés des terribles combats d’août à novembre 1914.

 

Sur le front à Nieuport, 10 mai – 5 juillet 1915

Attaché au 2e bataillon du 1er Régiment de fusiliers-marins, Segalen écrit presque chaque jour à Yvonne de longues lettres (quarante-huit) souvent rédigées sur plusieurs jours en fonction des possibilités d’envoi. Elles constituent un journal adressé à l’épouse, qu’il convient de rassurer, en même temps qu’elles dressent un tableau de la vie au front. Segalen décrit les paysages : « de longues ondulations blanc de sable et herbes vertes. […] C’est bien la Belgique imaginée dans sa douceur provinciale. Il n’y manque que des habitants et aussi des murs et des toits aux maisons » 

 Il donne des détails sur son installation en insistant sur la solidité de son abri, « dans la cave puissamment voûtée, somptueuse, garnie, meublée, qui, depuis quatre ou cinq mois, abrite l’ambulance du bataillon ».  Il habite cette cave dans les ruines de Nieuport quand son bataillon est en première ligne pendant deux jours, puis il va trois jours en réserve aux fermes de Groote-Laber, suivis de trois jours de repos au « camp Gallimard » près de Coxyde...


il repart en Chine pour accompagner une mission chargée de recruter des travailleurs chinois. C’est un long voyage, la guerre excluant de le faire par mer : il passe par Londres, Bergen, Petrograd où il rencontre le sinologue Alexeieff, puis prend le transsibérien. Il arrive à Pékin le 25 février 1917, se rend à Shanghai.

 

Tout en examinant quelque deux cents travailleurs par jour, il va à Nankin en mars visiter les tombeaux Liang (梁朝 502-557) où il découvre des colonnes supportées par des tortues et des « chimères » qui sont en fait des lions « nageant avec furie contre la terre cultivée qui les dévore ». En mai, poursuivant son travail archéologique il « part précipitamment » pour Zhenjiang (镇江), dans le Jiangsu, à un jour et demi de jonque, pour voir un bas-relief des Han décrit par Chavannes dans son ouvrage sur « La sculpture des Han » car Chavannes n’en donne qu’un estampage et les textes qu’il a consultés parlent de « porte de pierre ». Tout ceci montre la précision de son travail de terrain, à partir des textes. C’est ce qui fait la valeur unique de son opus majeur « Chine, La grande statuaire ».  


En 1916 , la France ouvre une filière d'embauche depuis les villes côtières de Qingdao et Pokou. Les Chinois qui acceptent sont enrôlés sous contrat civil à durée déterminée et gagnent l'Europe par voie maritime.

Mandarin photo JM Bergougniou



Son long voyage pour examiner des travailleurs chinois, du 25 janvier 1917 au 6 mars 1918, lui permet de compléter ses recherches sur la « Grande Statuaire » chinoise et de se consacrer davantage à l’écriture, c’est là qu’il commence son dernier poème Thibet.


Ses lettres à Yvonne prennent alors une importance primordiale tant par leur nombre que par leur contenu. Elle apparaît non seulement dans son rôle de collaboratrice efficace mais surtout elle rattache Segalen à la possibilité d’un avenir après « la Grande Chose ». Sa troisième installation à l’hôpital de Brest a été encore plus difficile que les deux précédentes. Il est amaigri, physiquement affaibli par son séjour en Extrême-Orient, désespéré par la guerre.


Le 20 mai 1919, sa femme vient le voir pour fêter avec lui la Sainte Yvonne (le 19 mai). Il écrit à Hélène qu’il était content de lui avoir donné l’illusion d’une amélioration qu’il ne ressentait pas. Le 21, il repart se promener dans la forêt du Huelgoat où ils sont allés. 


Il ne rentre pas à l’hôtel le soir. Deux jours plus tard, sa femme retrouve son corps au lieu-dit Le Gouffre. Il a une blessure à la cheville, et « Hamlet » à ses côtés.

 

Sa mort reste inexpliquée, bien que la thèse du suicide soit aujourd’hui considérée comme la plus probable compte tenu de la pathologie maniaco-dépressive dont il souffrait comme en ont témoigné divers médecins, dont le Dr. Hesnard, ancien psychiatre de la marine, lors d’un séminaire de psychanalystes à Marseille en 1958




L'une des universités de Bordeaux, où Victor Segalen fit ses études, porte son nom (Université Victor-Segalen Bordeaux 2). La faculté de Lettres et Sciences sociales de Brest, sa ville natale, lui rend aussi hommage en portant son nom. Le lycée LFI (lycée français international) Victor-Segalen, à Hong Kong, porte également son nom.

Le poète anglais Milton vendit les droits du Paradis Perdu pour la somme dérisoire de cinq livres sterling, et Racine vendit Andromaque deux cents livres. Dieu sait cependant le nombre de travailleurs de toute sorte qui vivent de l'œuvre de ces créateurs Imprimeurs, typographes, brocheurs, relieurs, libraires, costumiers, machinistes, etc.. 


Cela représente des sommes astronomiques. Même réflexion s'impose en ce qui concerne les artistes peintres. Victor Segalen, le poète breton, qui fit la guerre à Dixmude avec les fusiliers-marins, n'at-il pas raconté comment en passant à Tahiti, peu de temps après la mort de Paul Gauguin, il se rendit acquéreur pour la somme de SEPT francs d'un paysage breton sous la neige, que le commissaire-priseur présentait à l'envers, avec ce titre sensationnel Les chutes du Niagara Or actuellement, ce même paysage ferait probablement dans une vente aux enchères plusieurs centaines de mille francs.

Sources

BNF Gallica

Cols bleus 3 mars 1979 n°1557







Vendée Globe La porte des glaces 7 novembre 2024

Vendée Globe La porte des glaces 7 novembre 2024 Le passage des skippers du Vendée Globe au large de ces districts des Terres australes et a...