UNE GRANDE JOURNÉE POUR LA MARINE FRANÇAISE
à Brest la mise à l'eau du Richelieu notre premier cuirassé de 35.000 tonnes et pose le premier rivet du "Clemenceau"
Dans son discours, le ministre a retracé l'oeuvre héroïque du grand cardinal et du Tigre, qui furent l'un et l'autre des sauveurs de la Patrie
 BREST, 17 janvier.
Pour procéder à la double cérémonie de la mise à l'eau da premier cuirassé de 35.000 tonnes, le Richelieu et la mise sur cale du Clemenceau, M. Campinchi, ministre de la Marine, qui avait quitté Paris dans la soirée d'hier par train spécial, est arrivé ce matin à 8 h. 40 à Brest. La suite du ministre était nombreuse et imposante, car M. Campinchi avait convié tous les anciens ministres de la marine et les membres des commissions de la Marine du Sénat et de la Chambre à l'accompagner dans ce voyage. Il y avait la MM. François Piétri, Jean-Louis Dumesnil, Emile Borel, l'amiral Lacaze. Ch. Dumont, anciens ministres et aussi MM. Gratien Candace, vice-président de la Chambre des Députés Blancho, ancien sous-secrétaire d'Etat Farjon, sénateur Aubert, Renaitour, Béranger, députés, et les deux représentants de l'Académie Française en uniforme, le duc de la Force et le duc de Broglie le comte et ,1a comtesse de la Rochefoucauld M. Michel Clemenceau Aimes Jacquemaire et Young-Clémenceau, fils et filles de l'ancien président du Conseil MI. Pournin.
M. Campinchi était, d'ailleurs, entouré des vice-amiraux Violette, Durand-Vie!, de l'inspecteur général François, des constructions navales, et de nombreux officiers de marine. A la descente du train spécial, M. Campinchi est accueilli sur le quai de la gare par M. Angeli, préfet du Finistère, ayant à ses côtés M. Le Gorgeu, sénateur-maire de Brest le sous-préfet de Brest le préfet maritime et les parlementaires du département. Une compagnie du 29 régiment d'infanterie colonial rend les honneurs, tandis que sa musique joue Aux Champs et la Marseillaise.
Au bassin de Salou

M. Campinchi se rend directement au bassin de Salou.
Avant de prendre place dans la tribune officielle aux trois couleurs, dressée sur un des quais du bassin, juste en face du Richelieu, le ministre de la Marine passe en revue une compagnie des fusiliers marins musique en tête. Et tandis que 300 hommes des équipages de la Flotte montés sur le pont du Richelicu s'immobilisent dans un garde-à-vous irréprochable, deux marins hissent dans un silence impressionnant, sur la plage arrière, un drapeau tricolore.
Encore quelques accents de la Marseillaise et M. Campinchi remet la croix de la Légion d'honneur à un ingénieur principal du génie maritime et à l'un des ouvriers du chantier du nouveau Richelieu.
Puis il gagne la tribune officielle, où Il sera entouré du fils et des filles de Clemenceau, des anciens ministres de la Marine et des deux représentants de l'Académie Française. 
Les discours commencent immédiatement.
 C'est d'abord celui de Me Pournin, avocat à la Cour d'Appel de Paris, et président de la Société des Amis de Clemenceau. Rappelant que l'on doit cet après-midi mettre sur cale le Clemenceau, il rend hommage à celui qui fut un grand Français et qui eut toujours le culte de la justice et la passion de la patrie.
C'est d'abord celui de Me Pournin, avocat à la Cour d'Appel de Paris, et président de la Société des Amis de Clemenceau. Rappelant que l'on doit cet après-midi mettre sur cale le Clemenceau, il rend hommage à celui qui fut un grand Français et qui eut toujours le culte de la justice et la passion de la patrie.
Après Me Pournin, c'est le duc de la Force, puis M. Campinchi, ministre de la -Marine, dont on lira en deuxième page, de larges extraits des discours. Celui du ministre sera fréquemment interrompu par des applaudissements. Un remorqueur vient se lier par des amarres au Richelieu.
Quand le ministre a fini de parler, il quitte la tribune officielle en compagnie de la marraine du navire, Mme Mons, mère de dix enfants et femme d'un ouvrier de l'arsenal qui a construit le Richelieu,. Mme Mons, à l'aide de ciseaux, coupe le ruban tricolore qui relie symboliquement le Richeltett au quai.
La musique alors joue la Marseillaise.
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| Mme Mons parle au micro | 
 
Le remorqueur entraine lentement la. masse grise du Richelieu, qui se dirige vers un des bassins de radoub de Laninon.
Tandis que sur le pont du Richelieu, la musique des fusiliers-marins continue à jouer des marches militaires, une compagnie de fusiliers défile devant la tribune officielle.
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| La grand-mère de Claude Bélec  coupe le ruban avec M le ministre de la Marine Campinchi à gauche et le grand-père de Claude Bélec à droite
 les fants sont ses oncles et tantes et sa mère
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| La famille Mons devant le Richelieu collection Claude Bélec | 
L'état du temps n'a pas permis l'entrée du Richelieu au bassin neuf à Laninon comme il était prévu. Le nouveau bâtiment a été amarré à la place du porte-avion Béarn, à Laninon. Le mouvement s'effectuera aujourd'hui si le temps le permet.
C'est dans ce bassin de radoub qu'il doit être achevé. C'est là qu'il recevra les deux énormes tourelles quadruplement armées chacune de canons de 380 millimètres qui se profileront sur la plage avant les trois tourelles triples armées de canons de 152 millimètres
 
Mise à l’eau du cuirassé Richelieu
A BREST
le mardi 17 janvier 1939
DISCOURS
DE
M. LE DUC DE LA FORCE
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE
 
Monsieur le Ministre,
En 1634, le Mercure françois félicitait le Roi d’avoir un ministre doué de « toutes les qualités requises au gouvernement de la mer » Ce ministre s’appelait Armand du Plessis, cardinal duc de Richelieu. Aujourd’hui ceux qui « gouvernent la mer » ont eu l’idée magnifique de décorer du nom de Richelieu le cuirassé splendide qui va flotter tout à l’heure. La gloire de l’avoir fait construire est la vôtre et celle de vos prédécesseurs, elle est la gloire de toute la France.



La flotte du Levant comptait vingt et une galères, montées par neuf mille sept cuit cinquante-cinq hommes, dont trois mille sept cent-trente-quatre combattants, navires rapides, qui se riaient des calmes plats et couraient sur la Méditerranée sous l’effort de leurs centaines de rameurs. Deux d’entre elles promenaient à travers les flots la gloire du grand maître de la navigation : l’une se nommait la Cardinale et l’autre la Richelieu. Le 10 septembre 1636, au combat de San-Remo, livré par M. de Sourdis, archevêque de Bordeaux, commandant l’armée navale, les voici qui se détachent des vaisseaux pour s’en aller vers les galères espagnoles, « qui n’y veulent point mordre et moins encore s’arrêter ». Et dans sa relation, M. de Sourdis les cite parmi les quatre galères qui ont le mieux « fait leur décharge ».

La Cardinale n’avait que cent vingt tonnes. Que dirait le grand ministre, — « le plus grand serviteur, au dire de Louis XIII lui-même, que jamais la France ait eu », — s’il voyait s’élancer dans la mer un Richelieu de trente-cinq mille tonnes ! Il serait heureux de voir son nom porté par un tel vaisseau, lui qui donnait cet ordre le 28 novembre 1627 : « La devise pour les canons est Ratio ultima regum et, pour les armes, ce sont celles du Roi avec une ancre au-dessous, dans laquelle est écrit : Le Cardinal de Richelieu. » Il serait heureux de voir son vaisseau servir la France au côté du vaisseau de son neveu, ce Maillé Brézé qui fut lancé naguère et qui rappelle les victoires d’Armand de Maillé Brézé, duc de Fronsac, grand maître de la navigation après la mort de son oncle. II serait heureux de voir les vaisseaux de sa famille; — si l’on peut dire, — figurer parmi les unités d’une marine à laquelle chaque siècle qui passe laisse une gloire nouvelle pour adieu. Il serait heureux de voir que, tout en se conformant aux exigences du temps, la France continue d’accomplir les volontés qu’il a exprimées dans son Testament politique : « Si Votre Majesté, disait-il, a toujours dans ses  ports quarante vaisseaux bien outillés et bien équipés, elle en aura suffisamment pour se garantir de toute injure et se faire craindre dans toutes les mers... Avec trente galères, Votre Majesté ne balancera pas seulement la puissance d’Espagne, qui peut, par l’assistance de ses alliés, en mettre cinquante en corps ; mais elle les surmontera par la raison de l’union qui redouble la puissance des forces qu’elle joint. Vos galères seront toujours en état de s’opposer à la jonction de celles d’Espagne, — dont une partie venaient des ports italiens du Roi Catholique, — tellement séparées par la situation de ce Royaume, qu’elles ne peuvent s’assembler sans passer à la vue des ports de Provence  »
Au début de son ministère, le cardinal, mesurant les forces des rivaux de la France, disait au Roi : « Il est impossible que Sa Majesté se puisse mettre en cet état, principalement en peu de temps, sans miracle ou sans un notable effort qui requiert un soin continuel, une vigilance extraordinaire et autant d’argent qu’un tel dessein le requiert. »
Cet effort qui tient du miracle, la France le renouvelle aujourd’hui. A ceux qui en doutent, elle répond en montrant le Richelieu.
Sources