À Mayotte, l’État veut instaurer un rideau de fer maritime pour lutter contre l’immigration illégale
Mayotte Kwassa-Kwassa © JM Bergougniou |
Mayotte Dzaoudzi Petite Terre © JM Bergougniou |
À Mayotte, où la question migratoire continue de cristalliser le débat, la mer est de plus en plus surveillée. Le 101e département français voit l’État durcir encore les moyens de contrôle en mer avec l’annonce d’un rideau de fer maritime. Les associations humanitaires dénoncent une escalade sécuritaire au détriment des populations les plus vulnérables. Halte dans l’océan Indien pour ce dernier volet de notre série sur les migrations par voie maritime.
Les forces de l’ordre indiquent qu’en moyenne, deux kwassas sont interceptés dans les eaux mahoraises par jour. |
Mayotte -banga - © JM Bergougniou |
À Petite-Terre, les moteurs des navires intercepteurs n’ont guère le temps de refroidir. La plus petite des deux îles constituant le département de Mayotte concentre les moyens de lutte maritime contre l’immigration illégale. Nous avons trois bateaux H-24 sur l’eau , indique sur le ponton Frédéric Sautron, sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine.
Avant de détailler l’ensemble des moyens en mer : cinq embarcations rapides de police, quatre de gendarmerie, deux vedettes de surveillance côtières et l’appui des moyens hauturiers de La Réunion, dont le bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer Champlain.
Mayotte Kwassa-Kwassa © JM Bergougniou |
Dans le cadre du dispositif de lutte contre l’immigration illégale, trois navires de surveillance sont en permanence sur l’eau autour de Mayotte. | LAURENT BOUVIER
Mayotte Police aux frontières © JM Bergougniou |
Ce dispositif interministériel, finalisé par le plan Shikandra en 2019, a permis de resserrer les mailles du filet. Les embarcations qui s’entassent près du quai Ballou avant d’être détruites l’attestent. Chaque jour, deux kwassas en moyenne sont interceptés dans les eaux mahoraises.
Mayotte expulsions © JM Bergougniou |
Avec la montée en puissance de Shikandra, entre 25 000 et 26 000 personnes sont reconduites chaque année à la frontière. Ce qui signifie que le centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte concentre à lui seul 60 % des placements en rétention de l’ensemble des 25 centres de métropole et d’outre-mer (en 2023, 46 955 personnes ont été enfermées en rétention en France).
Une île sous tension
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Beaucoup de kwassas passent encore en dehors des filets , admet Frédéric Sautron, qui précise néanmoins que 75 % des bateaux détectés par les radars sont arraisonnés. Dans le 101e département français où, selon l’Insee, près de 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et où la moitié de la population provient de l’immigration comorienne ou d’autres pays d’Afrique, la question migratoire cristallise le débat.
Beaucoup de kwassas passent encore en dehors des filets , admet Frédéric Sautron, qui précise néanmoins que 75 % des bateaux détectés par les radars sont arraisonnés. Dans le 101e département français où, selon l’Insee, près de 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et où la moitié de la population provient de l’immigration comorienne ou d’autres pays d’Afrique, la question migratoire cristallise le débat.
Mayotte Banga © JM Bergougniou |
En janvier et février, l’île a ainsi été paralysée plus de trois semaines par des barrages de collectifs de citoyens protestant contre l’insécurité et le poids de l’immigration irrégulière.
Mayotte est situé à moins de 70 km au sud-est de l’île d’Anjouan, une des trois qui composent l’archipel des Comores. | GOOGLE MAPS
Mayotte Expulsions vers les Comores © JM Bergougniou |
Stratégies d’évitement
La stratégie maritime de lutte contre l’immigration illégale a son revers. Face au dispositif renforcé, les passeurs s’organisent. Ils adoptent des stratégies d’évitement. Ils changent leurs modes d’action en se regroupant à plusieurs dans les eaux internationales pour ensuite fondre sur l’île en espérant que davantage d’entre eux puissent passer entre les mailles , détaille le sous-préfet. D’autres réseaux privilégient désormais des bateaux de pêche. Plus inquiétant, les forces de l’ordre voient de plus en plus de kwassas-kwassas refuser d’obtempérer et forcer les interceptions.
De nouvelles filières en provenance d’Afrique
Mayotte radar Marine nationale © JM Bergougniou |
Mayotte Radar Marine nationale © JM Bergougniou |
Jacques fait partie de cette nouvelle vague. Ce Congolais a dû quitter son pays où il avait pris la tête d’une manifestation étudiante. Après s’être réfugié en Ouganda dans un camp provisoire avec d’autres réfugiés rwandais et ougandais, il a ensuite transité en 2022 par la Tanzanie. Au marché de Kariakoo à Dar es Salam, sur la côte, il rencontre des commerçants comoriens qui le mettent en contact avec des passeurs. À l’époque, je ne connaissais même pas l’existence de Mayotte , raconte-t-il.
Jacques a effectué un périple de 1 000 km depuis les côtes africaines pour rejoindre Mayotte. | LAURENT BOUVIER
Après s’être acquitté de 1 500 euros, il se retrouve bientôt à bord d’une longue pirogue avec 57 autres migrants rwandais, burundais et congolais. Nous avons passé quatre jours et trois nuits en mer avant d’être transbordés dans un kwassa à Anjouan, sans même mettre le pied à terre. Le bateau finira par être intercepté par un semi-rigide de la gendarmerie française aux abords du lagon de Mayotte. Ils ont menotté les passeurs et nous avons été placés en centre de rétention administrative. Jacques ne sera pas renvoyé dans son pays : après avoir saisi la Cour nationale du droit d’asile, il vient de se voir octroyer le statut de réfugié.
Jacques a effectué un périple de 1 000 km depuis les côtes africaines pour rejoindre Mayotte. | LAURENT BOUVIER
Après s’être acquitté de 1 500 euros, il se retrouve bientôt à bord d’une longue pirogue avec 57 autres migrants rwandais, burundais et congolais. Nous avons passé quatre jours et trois nuits en mer avant d’être transbordés dans un kwassa à Anjouan, sans même mettre le pied à terre. Le bateau finira par être intercepté par un semi-rigide de la gendarmerie française aux abords du lagon de Mayotte. Ils ont menotté les passeurs et nous avons été placés en centre de rétention administrative. Jacques ne sera pas renvoyé dans son pays : après avoir saisi la Cour nationale du droit d’asile, il vient de se voir octroyer le statut de réfugié.
Mayotte gendarmerie hélicoptère moyen aérien © JM Bergougniou |
Un rideau de fer maritime d’ici la fin du second semestre
Afin de barrer la route des grands lacs, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a annoncé le déploiement d’un bateau de la Marine nationale dans le canal du Mozambique. Cette action s’inscrit dans le cadre plus large de la mise en place d’un rideau de fer maritime. À nos confrères de Mayotte La Première, le préfet de l’île François-Xavier Bieuville décrit le dispositif comme un ensemble de moyens terrestres, maritimes et aériens qui doivent permettre de détecter plus en amont l’arrivée de navires, de les qualifier et donc d’anticiper leur interception .
Dans ce cadre, l’État a passé un certain nombre d’appels à manifestation d’intérêt pour des réponses technologiques adaptées. Frédéric Sautron évoque par exemple des moyens de détection électroacoustiques mais aussi des drones aériens et sous-marins… Ce rideau de fer est annoncé pour la fin du second semestre 2024.
Les associations humanitaires s’inquiètent
Mayotte Police aux frontières © JM Bergougniou |
La Cimade s’inquiète du nombre d’enfants enfermés et expulsés qui ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années. | LAURENT BOUVIER
Mayotte VCSM L'Odet Gendarmerie Maritime © JM Bergougniou |
La Cimade s’inquiète particulièrement du nombre d’enfants qui sont enfermés et expulsés, un nombre qui ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années : La France enferme les enfants presque quarante fois plus à Mayotte que dans l’Hexagone. L’enfermement des familles avec enfants doit normalement être motivé et utilisé de manière exceptionnelle. Alors que la loi asile et immigration du 26 janvier vient d’interdire l’enfermement des enfants en rétention, cette disposition n’entrera en vigueur à Mayotte que le 1er janvier 2027.
Sources