12 juin 2014

L’ex-Jeanne d’Arc et l’ancien Colbert seront démantelés à Bordeaux


12/06/2014
Dossier(s) : Marine nationale



Le Colbert à son retour à Brest en 2007crédits : MARINE NATIONALE


C’est à Bordeaux que l’ex-porte-hélicoptères Jeanne d’Arc et l’ancien croiseur lance-missilesColbert disparaîtront. La Marine nationale a attribué le marché de déconstruction de ces célèbres bateaux à un groupement constitué de Bartin Recycling et Petrofer Société Nouvelle, deux sociétés françaises filiales du groupe Veolia. Celles-ci ont remporté l’appel d’offres issu d’une procédure lancée en septembre 2012. Les travaux seront effectués sur le site de Bassens, qui dispose d’une forme de 240 mètres de long pour 35 mètres de large, capable d’accueillir des navires de 50.000 tonnes. Dotée d’un nouveau bateau porte en 2007, cette cale sèche a déjà été utilisée par Veolia pour des opérations de déconstruction. Après avoir acquis Bartin, entreprise spécialisée dans le recyclage et la valorisation des métaux, le groupe avait implanté à Bassens, en 2008, un pôle de démantèlement de navires et de valorisation des ferrailles. Le site avait débuté son activité en traitant plusieurs dizaines de chalutiers bons pour la casse. Puis, après une pause consécutive à la mobilisation de la forme dans le cadre de la construction du nouveau pont enjambant la Gironde, Veolia, candidat malheureux au démantèlement de l’ex-porte-avions Clemenceau (parti chez le Britannique Able UK en 2009) a traité son premier gros bateau en 2012. Il s’agissait du Matterhorn, un cargo de 107 mètres représentant 2000 tonnes d’acier qui, après son déroutement à Brest en 2009 puis sa saisie suite à la faillite de son armateur, avait été remorqué à Bordeaux pour y être déconstruit.



Le Matterhorn en cours de déconstruction à Bassens en 2012 (© VEOLIA)

Premières grandes coques éliminées en France

Pour l’heure, seules trois grandes coques de la Marine nationale ont été déconstruites en France. Il s’agit de l’ex-pétrolier-ravitailleur Saône et des anciens bâtiments de débarquement de chars Dives et Argens, traités à La Seyne-sur-Mer par Foselev et Topp Decide. Un marché spécifique, dans la mesure où ces bateaux ne pouvaient pas quitter la rade de Toulon en raison de leur état de délabrement. Il y a donc eu une âpre compétition mais les sites étrangers étaient de facto exclus. Comprenant des unités aptes à prendre la mer, les appels d’offres suivants ont été marqués par une forte concurrence internationale. Et c’est le groupe franco-belge Galloo, avec son chantier de Gand, qui s’est d’abord adjugé la déconstruction de l’ancien escorteur d’escadre Bouvet, démantelé en Belgique en 2012/2013, avant de frapper un grand coup en décembre dernier, lorsqu’il a été retenu pour le marché des ex-escorteurs d’escadre, avisos escorteurs et avisos Duperré, La Galissonnière, Enseigne de Vaisseau Henri, Commandant Rivière, Détroyat et Jean Moulin. Un choix qui a fait grincer des dents au sein des industriels français, certains considérant alors que la règlementation plus contraignante dans l’Hexagone pénalise les sociétés nationales au détriment de la concurrence étrangère. La décision d’attribuer à un groupement girondin les ex-Jeanne d’Arc et Colbert semble, aujourd’hui, prouver le contraire. « Cela démontre que les entreprises françaises peuvent être compétitives. Lorsque nous passons des marchés publics pour la déconstruction des navires, nous avons des exigences très strictes quant à la sécurité des personnes qui travaillent à bord, la protection de l’environnement et la traçabilité des matériaux. Ces exigences et les contrôles que nous menons sont les mêmes pour tous. Les chantiers s’efforcent de répondre à nos attentes et finissent par proposer un prix qui correspond », explique l’amiral Hubert Jouot, en charge des navires en fin de vie à l’état-major de la Marine nationale




L'ex-Jeanne d'Arc dans le port de Brest (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)





Deux gros morceaux pour les Girondins

Avec le Q 860 (ex-Jeanne d’Arc) et le Q 683 (ex-Colbert), les industriels bordelais vont s’attaquer à de plus gros morceaux que le Matterhorn, soit deux coques d’un peu plus de 180 mètres de long, avec un poids cumulé de 19.000 tonnes. Des bateaux très compartimentés et en partie blindés, qu’il va également falloir dépolluer. Les deux anciens bâtiments militaires français ne sont d’ailleurs pas dans le même état. Désarmé plus récemment, la Jeanne d’Arc, qui a été retirée du service en 2010, a bénéficié des derniers standards mis en place par la marine. « La Jeanne d’Arc a été désarmée dans la perspective de sa déconstruction. Tout a été mis en œuvre pour que son élimination soit la plus rapide possible ». Tous les fluides présents à bord du bâtiment ont par exemple été débarqués, de même que différents matériels et tout ce qui n’était pas valorisable (moquettes, bois, verre…) La mâture a par ailleurs été coupée de manière à ce qu’elle ne présente pas de danger de rupture suite à une longue période sans entretien. Laissé dans un bon état de propreté, l’ancien bâtiment école est pour ainsi dire prêt à partir, une fois menées quelques vérifications et mis en place les équipements nécessaires à son remorquage, comme des feux de navigation. Le Q 860 sera le premier à quitter la Bretagne, normalement avant la fin de l’année.





Le Colbert quittant Bordeaux en 2007 (© MARINE NATIONALE)


Le retour du vieux croiseur à Bordeaux

Comme toutes les vielles coques de la flotte française intégrées dans le processus de déconstruction, l’ex-Jeanne a fait l’objet d’une cartographie des matières polluantes présentes à bord. Cette documentation, fournie aux industriels lors du lancement des appels d’offres, répertorie tous les produits dangereux, à commencer par l’amiante, les métaux lourds ou encore les PCB. On notera que l’ex-porte-hélicoptère est relativement peu amianté par rapport à sa situation d’origine. Cela tient au fait que, durant sa longue carrière (1964 – 2010), les maintenances successives ont permis de remplacer une bonne partie de l’amiante par des matières « propres ».

Tel n’est en revanche pas le cas du vieux Colbert, mis en service en 1959 et désarmé en 1991. Le bâtiment n’avait été que démilitarisé car il fallait le garder en l’état pour le transformer en musée à Bordeaux, Après avoir accueilli 800.000 visiteurs entre 1993 et 2007, le croiseur, qui n’était plus viable économiquement, a été rapatrié à Brest puis transféré au cimetière marin de Landévennec. Ironie de l’histoire, il va donc faire le chemin inverse huit ans plus tard. Contrairement à l’ex-Jeanne d’Arc, dont la carène est voisine, l’ancien Colbert n’a pas bénéficié de la même préparation à la démolition. Avant d’effectuer son retour à Bordeaux, le Q 683 devra donc bénéficier d’un « toilettage » plus important. Il faudra notamment sécuriser les extérieurs afin que les éléments qui n’ont pas été enlevés, comme la mâture, ne tombent pas.




Le Colbert de retour à Brest en 2007 (© MARINE NATIONALE)

La dépollution puis la découpe

Une fois à Bassens, les deux coques seront traitées en deux temps. D’abord la phase de dépollution, avec l’évacuation des matières dangereuses, aussi profondément que la résistance de la structure et les possibilités d’accès le permettront. Les produits extraits seront ensuite évacués par des sociétés spécialisées dans le traitement de ces types de déchets. Viendra ensuite la phase de déconstruction, qui pourrait voir les bateaux découpés en grandes sections dans la cale sèche, avant le transfert de ces blocs vers les terre-pleins pour une découpe plus fine. La ferraille amassée sera ensuite vendue à des aciéries pour être recyclée. Côté planning, les industriels n’ont pas encore donné leur calendrier. Mais on peut estimer que la dépollution de l’ex-Jeanne d’Arc devrait prendre au minimum six mois, la découpe de la coque devant probablement s’étaler sur un semestre. Le chantier durerait donc autour d’un an, peut être plus. L’ex-Colbert suivrait avec un écart de 6 à 8 mois, ce qui le ferait arriver à Bordeaux en 2015. Plus complexe à traiter, l’ancien croiseur devrait néanmoins bénéficier du retour d’expérience acquis avec le vieux porte-hélicoptères et du rodage des équipes, ce qui laisse espérer un gain de temps.




Landévennec (© MICHEL FLOCH)

D’autres marchés à venir

Concernant les autres marchés de déconstruction, la société normande Gardet et De Bezenac a achevé en janvier, après un an de travail au Havre, d’éliminer 50 petites embarcations (drôme, pilotines, barges, grues et citernes flottantes, chalands de débarquement…) provenant des bases navales de Brest et Cherbourg, A La Seyne, Foselev et Topp Decide viennent, pour leur part, de terminer le chantier des ex-Saône, Dives et Argens. Galloo, de son côté, attend toujours le feu vert des autorités françaises et belges pour commencer à remorquer vers Gand les six coques attribuées en décembre. Le dossier de transfert transfrontalier de déchets est toujours en cours d’examen, la marine et l’industriel espérant que le premier convoi puisse quitter la France à la fin de l’été. Un léger retard par rapport à l’objectif initial (ce mois-ci) qui n’inquiète pas l’amiral Jouot : « Le but n’est pas d’accélérer les délais, c’est de faire les choses bien. En l’espèce, il n’y a pas d’impact pour l’environnement ni de risque pour les personnels, la contrainte temps est moins prégnante ».




Les ex-TCD Orage et Ouragan (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Pour la suite, deux nouveaux marchés sont en cours de négociations. Le plus important concerne les anciens transports de chalands de débarquement Ouragan et Orage, l’ex-bâtiment atelier Jules Verne et l’ex-bâtiment de transport et de soutien Bougainville. A ces coques, en attente à Toulon, ont été ajoutés les anciens bâtiments de transport léger Francis Garnier et jacques Cartier, désarmés à Brest.

Un autre appel d’offres a été lancé pour une vingtaine de petits bâtiments de servitude stationnés à la pointe Bretagne et à Toulon, dont les vieux transrades brestois. Si tout va bien, ces deux nouveaux contrats devraient être notifiés fin 2014/début 2015. De plus, la marine prévoit de lancer prochainement un appel à candidatures pour l’élimination de la vieille « batelerie » de Toulon, qui comprend de nombreuses unités (dromes, vedettes, chalands, barges…)

Enfin, ous terminerons avec deux belles images. Pour le plaisir et aussi pour se rappeler qu'avant de devenir de vieilles coque fantômes, les Q 860 et Q 683 furent la Jeanne d'Arc et le Colbert, deux superbes bâtiments qui ont fait la fierté de leurs équipage et écrit de belles pages d'histoire de la marine et de la France. La première fut pendant 46 ans une véritable ambassade flottante, sillonnant toutes les mers du globe avec des générations de jeunes officiers, qui réalisaient leur première grande navigation à son bord.




La Jeanne d'Arc (© MARINE NATIONALE)

Quant au second, ce fut le dernier croiseur français, héritier d'une prestigieuse lignée qui s'éteignit au profit des frégates d'aujourd'hui. Un fleuron sur lequel a navigué deux fois le général de Gaulle, notamment pour traverser l'Atlantique lors de sa visite au Canada en 1967, au cours de laquelle il prononça son fameux « vive le Québec libre ! »



Le Colbert (© MARINE NATIONALE - COLLECTION NETMARINE)

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