17 décembre 2013

Talonnage du Marion Dufresne : Le BEA pointe les cartes électroniques

Talonnage du Marion Dufresne : Le BEA pointe les cartes électroniques

17/12/2013  Mer et Marine

Une région mal connue et une trop grande confiance en la carte électronique : ce sont les deux facteurs qui auraient, selon le Bureau Enquête Accident (BEA) Mer, menés au talonnage du Marion Dufresne devant l’île de la Possession, dans l’archipel austral de Crozet, au matin du 14 novembre 2012. Malgré cet incident, le navire avait pu débarquer tous ses passagers à Crozet (d’où ils avaient été pris en charge par le câblier Léon Thévenin) puis rejoindre un chantier naval de Durban, où il a passé deux mois pour être réparé avant de reprendre ses missions océanographique et de ravitaillement austral.





Une opération de ravitaillement chargée


Le Marion Dufresne, au moment de l’incident, effectuait la troisième opération annuelle de ravitaillement (OP3) des îles subantarctiques. Celle-ci s’effectue au départ de la Réunion et dessert successivement Crozet, Kerguelen et Saint-Paul –et-Amsterdam. Elle permet l’acheminement des personnels techniques et scientifiques des trois bases, ainsi que tout le matériel nécessaire à leur fonctionnement. 



photos JM Bergougniou

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L’OP3 est traditionnellement « chargée » puisqu’elle marque le début de l’été austral, qui voit de nombreux scientifiques rejoindre les bases pour profiter des conditions climatiques plus clémentes. En plus du ravitaillement « principal » des trois bases vies (Alfred Faure à Crozet, Port-aux-Français à Kerguelen et Martin-du-Vivès à Amsterdam), le Marion peut, selon les possibilités météo et les besoins logistiques de l’Institut Paul-Emile Victor, effectuer l’avitaillement d’observatoires scientifiques isolées (cabane en langage local) et éloignées géographiquement de la base-vie. 

photos JM Bergougniou

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Ce qui épargne aux scientifiques le transport à pied (il y a peu voire pas de routes sur les îles) du matériel scientifique et des vivres lors de leurs observations.


Un système de carte électronique et une table traçante

C’est précisément ce que le navire effectuait dans la matinée du 14 novembre. Après avoir avitaillé la cabane de la Pointe Basse, dans l’ouest de l’île de la Possession, le Marion devait rejoindre la baie de Lapérouse pour un autre déchargement de matériel. L’appareillage de Pointe Basse s’effectue à 8 heures, le commandant est à la manœuvre, le lieutenant de quart est à ses côtés. 

photos JM Bergougniou



La route est tracée selon un référentiel établi en janvier 2009. La seule carte papier disponible pour la zone, celle du SHOM, est disposée, avec les corrections géodésiques nécessaires, sur la table traçante du bord, elle-même couplée à deux GPS. Le système de la table traçante permet de situer le navire par un point lumineux sur la carte papier. Un système de carte électronique, l’ECS (Transas), connecté au compas gyroscopique, au loch et à au GPS du pupitre, se trouve à côté. Une notice apposée dessus précise qu’il ne peut être considéré comme un outil de navigation : les seuls systèmes de carte électronique autorisés par les conventions internationales sont ceux dont les cartes sont corrigées en permanence. 



photos JM Bergougniou
Le système ECS du Marion se base principalement sur les cartes britanniques de l’Admiralty, qui ne sont pas mises à jour dans la zone.

Une différence entre les cartes

La base principale de la navigation devrait donc être la carte du SHOM, l’ECS n’étant qu’un auxiliaire. 

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La carte du SHOM a, aux moments des faits, subi deux corrections récentes (une au mois de juin et une en septembre), obtenues par relevé satellitaire, pour la zone en question. La première a été prise en compte et reportée sur la carte. La seconde n’est pas encore parvenue à bord.





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La zone est mal pavée. Les instructions nautiques font état de « brisants marquant probablement des roches dangereuses ». Comme le relève le BEA, il y a une incertitude de positionnement de ces roches. Les deux cartes, celle du SHOM et celle de l’ECS, ne sont pas d’accord entre elles non plus : sur la carte de l’ECS, la ligne de l’isobathe 100 mètres est continue donc sûre ; sur celle du SHOM elle est discontinue, donc incertaine. 

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Un changement de route prématuré



Un point tournant est placé sur la carte, correspondant au moment où les brisants sont parés : après une route au 208, il est prévu un cap au 125. A 8h44, alors que le navire marche à 11 nœuds et que la barre est en manuel, le commandant laisse la manœuvre au lieutenant. 


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A 8h52, le lieutenant effectue un point radar. Il constate alors un décalage entre l’ECS sur lequel il suit l’évolution de la route et son point radar, qui lui donne la position réelle du navire. Il se trouve à 0.2 milles « à l’intérieur » (donc plus près de la côte) de la route tracée. 

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 A 8h55, estimant être travers des brisants, il ordonne le changement de route, en donnant des ordres de barre au timonier. Le bateau vient rapidement. Le commandant, revenu à la passerelle, se rend compte que le navire est nettement à l’intérieur de sa route et que le changement de route est prématuré. 

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Il reprend immédiatement la manœuvre et ordonne de remettre la barre à zéro puis toute à droite. C’est à ce moment qu’il y a un choc important à l’avant tribord. La vitesse tombe à 6 nœuds.







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Débarquement de tous les passagers

Le commandant ordonne la fermeture des portes étanches, des alarmes d’envahissement se déclenchent dans plusieurs compartiments mais le Marion continue à flotter normalement et a gardé sa propulsion. Décision est prise de regagner la baie du Marin, devant la base Alfred Faure, mouillage habituel lors des opérations de ravitaillement. Pendant le transit, qui dure moins de deux heures, le chef mécanicien supervise les opérations d’assèchement. 



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Le Marion prend son mouillage à 11 heures. Les opérations de débarquement des passagers démarrent immédiatement et se poursuivront dans les jours suivants. Malgré une violente dégradation des conditions météo, le navire tient son mouillage, les capacités sont asséchées et les brèches provisoirement colmatées par des batardeaux. Le 24 novembre, après avis favorable du Centre de Sécurité des Navires de la Réunion, du Bureau Veritas et accompagné d’un remorqueur, le Marion fait route avec 23 marins volontaires vers l’Afrique du Sud. Il arrive après une traversée particulièrement éprouvante à Durban le 3 décembre.


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Imprécision cartographique des brisants


Selon sa méthodologie habituelle, le BEA a cherché à établir quels avaient été les facteurs déterminants dans la survenance de l’incident. Le facteur naturel est immédiatement écarté, la marée était haute. Il s’intéresse ensuite aux facteurs matériels et commence par noter que l’imprécision des lignes d’isobathe est un facteur sous-jacent. 



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Comme la différence de géodésie entre la carte du SHOM et les appareils de navigation, qui n’a pas été prise en compte par l’officier de quart, puisqu’il utilisait l’ECS et non la carte corrigée. Il note également l’imprécision cartographique des brisants : « le Marion Dufresne ne pouvait être, en novembre 2012, informé de la position réelle de ces brisants. Ceux-ci ont été repositionnés à proximité de la ligne de sonde interrompue des 100 mètres, immédiatement à l’intérieur en mai 2013 ». 

La manœuvre du commandant a sauvé le navire


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Sur la navigation proprement dite, il estime que « la non-prise en compte des différences de géodésie dans la navigation à l’ECS à cet endroit, la mauvaise gestion de l’incertitude sur le positionnement des brisants et l’utilisation de l’ECS comme appareil de navigation unique sont des éléments dont l’addition est un facteur déterminant du talonnage ». Il note enfin que « les changements de route anticipés par rapport à la route tracée, suivie approximativement, constituent un facteur aggravant des facteurs précédemment qualifiés. Cependant, le fait que le commandant ait arrêté la giration, lorsqu’il s’est rendu compte de la manœuvre engagée, a sauvé le navire ».


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