Mission Jeanne d'Arc Clipperton
L’Ile des oiseaux
C’est Clipperton.
Combien sont-ils ceux qui ont visité l’île française de Clipperton dans le Pacifique ?
Cette île est un îlot de cinq kilomètres carrés que nous conteste le Mexique.. . depuis 1850, époque à laquelle le capitaine de Kerveguen en prit possession au nom de la France. Et depuis des années, le roi d’Italie a accepté d’arbitrer le litige...
Clipperton n’a et n’a jamais eu un seul habitant, mais des millions d’oiseaux de mer la peuplent.
Au moment où le Pacifique est l’objet des préoccupations du monde, il est question d’aménager à Clipperton un poste de ravitaillement pour nos navires et une station météorologique.
Mais quel savant consentira à habiter ce roc stérile et dépourvu d’eau potable ?
Il y a près de deux mois la Jeanne d'Arc avait déjà tracé son sillage dans les eaux chaudes où loin de toute autre terre, gît le minuscule îlot de Clipperton. Partie de Panama, elle avait alors, pendant six jours, couru presque droit à l'ouest et, le dimanche matin 2 décembre, une silhouette peu familière aux marins se dessinait sur le ciel gris : d'abord un rocher massif, puis au ras de l'horizon une bande claire, frangée d'écume. Près de l'île déserte, deux chalutiers américains péchaient sans vergogne, bousculés par l'ample houle du Pacifique. Dérangés dans leur travail, surpris probablement d'une arrivée pour eux tout à fait inattendue, leur première réaction fut de fuir, et leur course éperdue fut — à l'heure des couleurs — un épisode d'où le comique n'était pas absent.
Autour de Clipperton, la mer brisait sur une ceinture de corail à peine visible, et d'imposants rouleaux montaient à l'assaut du rivage pelé. Du bord, on apercevait sur l'île des myriades d'oiseaux et, de loin en loin, effrayé, par les cabrioles d'un cochon noir, s'élevait d'un vol lourd un stupide échassier.
Tout le jour — et le lendemain encore — on essaya d'y débarquer. Plusieurs fois, en doris et en radeau, le commandant Donval tenta de franchir la muraille d'eau et de corail acéré. Toutes les tentatives devaient être frappées d'échec... et le lundi 3 décembre, la Jeanne d'Arc s'éloignait de Clipperton, rendu à sa solitude farouche, et resté, comme tant d'autres fois où des hommes avaient voulu y débarquer, inviolé derrière sa garde de « chevaux de mer cabrés sous l'écume ! »
Cinquante jours ont passé. Nous avons abordé, depuis, aux rives de Californie, et nous sommes allés chercher un peu d'hiver au Canada, jusqu'à Vancouver. Sur la route du retour, San Pedro nous a retenus une semaine, et ses orangers, ses poivriers éternellement verts, son ciel fluide aussi, auront été pour nous — comme San Miguel des Açores, il y a trois mois — une sorte d'introduction à la vie tropicale.
EMPIRE FRANÇAIS
« Prise de possession de l'île Clipperton, située par 10" 19' de latitude nord, et 111° 33' de longitude ouest (méridien de Paris).
« Au nom de l'Empereur, et d'après ses ordres qui nous ont été transmis par S. Exc. le ministre de la Marine.
« Nous, Victor Le Coat de Kervéguen, lieutenant de vaisseau, commissaire du gouvernement de l'Empereur des Français, proclamons et déclarons qu'à dater de ce jour la pleine souveraineté de l'île Clipperton, située par 10° 19' de latitude nord et 111° . 33' de longitude ouest, appartient à Sa Majesté l'Empereur Napoléon III et à ses héritiers et successeurs à perpétuité.
« Donné, sous notre seing, à bord du navire de commerce l'Amiral.
« Le 17 novembre 1858.
Le lieutenant de vaisseau Commissaire du gouvernement,
Signé: V. LE COAT DE KERVÉGUEN. »
Trois jours plus tard, l'Amiral faisait route vers Honolulu et Clipperton retomba dans l'oubli.
Cela dura jusqu'en 1897. Il vint, cette année-là à la connaissance du gouvernement français que le pavillon américain était arboré sur Clipperton. Le chef de la division navale du Pacifique, qui avait sa marque sur le Duguay-Trouin, fut invité à vérifier cette information, et arriva, le 24 novembre, en vue de l'île. Une embarcation, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Terrier, fut envoyée à terre, et cet officier se trouva en présence de trois hommes qui recueillaient du guano pour le compte de « l'Océanic Phosphate Company » de San Francisco.
Le lieutenant de. vaisseau Terrier, qui comptait explorer l'îlot, en y séjournant toute la journée, dut renoncer à son dessein, car l'état du temps lui fit juger plus prudent de regagner promptement son bord: il n'était resté qu'une heure à Clipperton.
« L'eau de la lagune intérieure est saumâtre et, pendant la saison sèche, de décembre à mai, est fortement ammoniacale.
« Dans la partie N. W. de la lagune gisent cinq petits îlots appelés « îles Egg » en raison des quantités d'oeufs qu'y déposent d'innombrables oiseaux de mer.
« Les requins abondent autour de l'île... »
Ce tableau des instructions nautiques est, dans sa concision, près de la réalité. On peut y ajouter seulement que l'île est en grande partie recouverte d'herbes où folâtrent une cinquantaine de cochons noirs, que les cocotiers y forment, maintenant au sud-ouest un copieux bosquet, et qu'enfin, les hangars qu y avaient édifiés les Mexicains ont presque achevé de disparaître sous l'âpre morsure des vents.
A l'île de la soif
Nous avons déjà dit qu'une petite flottille avait quitté la Jeanne d'Àrc le 26 janvier, peu avant midi. Les conditions, malgré la houle de quatre mètres, et le clapotis, étaient meilleures qu'au voyage précédent. Le débarquement fut tenté sur la côte S.-O., en un point où les rouleaux étaient, ce jour-là, moins forts que partout ailleurs, et ie doris put être amené plusieurs fois assez près de la côte pour permettre aux gens d'atteindre, en se mouillant les jambes et après quelques acrobaties, le sol rugueux de Clipperton.
Ce fut alors, sous le soleil blanc, la découverte de l'île par la petite troupe qui suivait le commandant Donval et qui comprenait, outre: les lieutenants de | vaisseau' Le Nabec et Payàn, les maîtres Ethet et Galipaud, avec quelques matelots.
Il est impossible de concevoir un coin de terre plus désolé, plus inhumain — si l'on peut dire — que cet atoll abandonné, où mille débris rappellent encore que des hommes ont vécu là... mais aussi que rien ne peut y retenir des hommes, dès que l'esprit de lucre et l'appât du gain ne les animent plus.
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