Frégate L'Aventure - Courrier
LE COURRIER
Le lance–amarres a été passé et les hommes du Magdalena halent à leur bord le paquet qui contient leur courrier, puis fixent à la place leur propre paquet bien enveloppé dans un morceau de toile huilée.
Pendant ce temps, à coups brutaux de machines et de barre, je maintiens les deux navires tout près l’un de l’autre, pour leur éviter un contact violent, et ne pas cependant m’éloigner rapide- ment, ce qui risquerait de faire tomber à l’eau les précieuses lettres.
C’est fini ; cela n’a pas duré une minute, mais j’ai l’impression que je manuvre depuis une demi-heure.
– Les machines en arrière demi.
L’intervalle entre les deux bâtiments grandit ; c’est paré, maintenant.
Nous reprenons notre route vers le sud, vers Saint-Jean, en passant encore près du Clair- voyant pour prendre son courrier et près du Duguay-Trouin pour embarquer l’aumônier... si le temps le permet.
A ce moment, on m’apporte un message :
« Aventure de Magdalena. – Remerciements. Je me permets de vous offrir mes respectueuses félicitations pour votre manœuvre. »
– Répondez : merci.
Je m’efforce de prendre un petit air détaché. En réalité, le compliment de ce capitaine, vieux Terre-Neuva, marin éprouvé et connaisseur indiscutable, me remplit de joie. Et puis, nous avons rempli notre tâche : cela aussi nous fait plaisir.
C’est cela, ce n’est que cela, le courrier, mais nous savons, nous, marins, ce que représente ce lien avec les familles. Cela vaut bien qu’on se donne un peu de peine.
photo datée au tirage d'octobre 1959 Goothab |
On se sert aussi de la radio. Une station française, Saint-Lys, dans le sud-ouest de la France, assure continuellement la liaison avec les navires en mer. Les Terre-Neuvas bénéficient d’un régime de faveur : les P.T.T. leur accordent des tarifs spéciaux pour l’expédition de radiotélégrammes et de lettres radiomaritimes.
photo datée au tirage d'octobre 1959 Goothab |
Car il y a deux sortes de messages :
Les radios, d’abord ; l’expéditeur met un télégramme à la poste, dans un bureau quelconque de France :
« Monsieur Untel, à bord de tel chalutier, par Saint-Lys–radio. »
La jeune fille du guichet lui jette un coup d’il étonné, prend le « Guide des P.T.T. », car le radio n’est pas chose courante, vérifie, taxe.
photo datée au tirage d'octobre 1959 - Iceberg |
Cela fait tant.
Le message est envoyé télégraphiquement à Saint-Lys–radio.
Si c’est une lettre radiomaritime (on dit S.L.T.., en jargon des Postes), le même message est mis sous enveloppe pour être envoyé à Saint-Lys. Evidemment, le tarif est moins élevé.
Mais, à la station de Saint-Lys, à l’arrivée, le processus est le même. A plusieurs reprises, dans la journée, la station passe la liste des bâtiments en mer pour laquelle elle a quelque chose, puis attend les réactions.
Quand elle a pris contact avec un de ses correspondants, elle lui transmet le message.
photo datée au tirage d'octobre 1959 - Glacier |
Parfois le bateau est trop loin, ou ses appareils ne permettent pas la liaison. L’Aventure intervient alors :
« Passez-moi les messages de tels et tels bateaux. »
Et, quand elle a réussi à les acheminer sur leurs destinataires, elle prévient Saint-Lys.
Il nous est arrivé d’avoir ainsi cinq ou six S.L.T. en attente, sur nos registres. Car, au Groenland, c’est le seul moyen de dire ou d’entendre quelque chose. On en use abondamment.
Encore le procédé n’est-il pas absolument sûr. Pendant quatre jours, nous sommes restés sans aucune liaison avec la France, ainsi que les chalutiers qui étaient près de nous.
« L’AVENTURE » ET SES TERRE-NEUVAS
La propagation des ondes a de ces mystères. Le cinquième jour, sans que rien n’ait appa- remment changé tout marchait très bien. Soulagement à bord, où nous envisagions déjà de passer par une station groenlandaise de là au Danemark et de Copenhague à Paris. Petite humiliation pour notre amour-propre national !
Et, pendant ce temps, nous avions d’excellentes liaisons avec le petit poste de l’expédition Paul–Emile Victor, qui était en route pour la côte, après avoir abandonné la station centrale, où elle séjournait depuis des mois.
L’Aventure, navire de guerre, est mieux partagée que les chalutiers, du point de vue du courrier. D’abord, ses escales sont connues avec précision, et surtout la Poste navale s’occupe d’elle.
Cet organisme, se basant sur notre programme, et armé des horaires des paquebots et des avions, centralise tout le courrier adressé : « ... A bord de L’Aventure. Poste navale », et le trie en deux parts.
Les lettres sont empilées dans des sacs et confiées à la poste aérienne. Les petits paquets, les journaux, les imprimés, sont confiés à la voie maritime.
En même temps, un télégramme nous annonce :
« Vers vous, à Saint-Jean de Terre-Neuve, envois numéros 6 et 7 avion, envoi 4 bateau. »
A la réception, nous enverrons un message ; on saura ainsi que rien ne s’est perdu.
Dans l’autre sens, nous procédons de la même façon.
« Vers vous, à Saint-Jean de Terre-Neuve, envois numéros 6 et 7 avion, envoi 4 bateau. »
A la réception, nous enverrons un message ; on saura ainsi que rien ne s’est perdu.
Dans l’autre sens, nous procédons de la même façon.
Cela marche bien, sans autres irrégularités que celles dues aux avions qui « brûlent Gander ».
Quelquefois la brume est trop dense sur Terre-Neuve et notre courrier va faire un tour au Canada, avant de nous revenir, mais en général, dès que nous arrivons dans un port, nous y trouvons nos sacs.
Je me suis étonné, pendant quelque temps, d’y voir un courrier abondant adressé au mythique « lieutenant de vaisseau de Lescubier ». Ces lettres venaient de tous les coins de France et étaient d’écritures variées, mais féminines. Je me suis demandé quel était le don Juan qui cachait ainsi son identité, puis j’ai constaté que ces lettres étaient remises indifféremment à n’importe lequel des officiers.
L’explication a fini par venir.
Avant le départ, le carré avait eu l’idée de faire mettre une annonce dans un journal :
« Jeune officier de marine, s’ennuyant en campagne, cherche correspondante. Ecrire : Lieutenant de vaisseau de Lescubier. L’Aventure. Poste navale. »
Au début, la récolte a été abondante, puis elle a diminué au fur et à mesure que les farceurs se lassaient de répondre pour alimenter la conversation. Après l’interruption du courrier au Groenland, cela avait pratiquement disparu, mais les correspondantes avaient-elles jamais été dupes ?