Le Vladivostok et le Sevastopol à Saint-Nazaire
Le Vladivistok (© Yves-Laurent Couëdel) |
Le Vladivistok (© Yves-Laurent Couëdel) |
© MER ET MARINE - KEVIN IZORCE
Avec la mi-mai sont arrivées à échéance toutes les possibilités contractuelles, pour la France, de repousser la livraison à la Russie du bâtiment de projection et de commandement Vladivostok. Le transfert est gelé depuis le mois de novembre, François Hollande l’ayant conditionné à la mise en œuvre en Ukraine d’un cessez-le-feu effectif et d’une solution politique durable.
Avec la mi-mai sont arrivées à échéance toutes les possibilités contractuelles, pour la France, de repousser la livraison à la Russie du bâtiment de projection et de commandement Vladivostok. Le transfert est gelé depuis le mois de novembre, François Hollande l’ayant conditionné à la mise en œuvre en Ukraine d’un cessez-le-feu effectif et d’une solution politique durable.
Ce prérequis n’étant pas à l’ordre du jour, Paris se retrouve maintenant au pied du mur. Et doit au plus vite trouver un accord amiable avec Moscou, faute de quoi les Russes pourront porter l’affaire devant les tribunaux et exiger, en plus d’un remboursement, les lourdes pénalités prévues par le contrat, ainsi que de conséquents dommages et intérêts.
Le Vladivistok (© Yves-Laurent Couëdel) |
Le Vladivistok (© Yves-Laurent Couëdel) |
Moscou veut plus que les sommes proposées par Paris
Comme l’a révélé en fin de semaine dernière la presse russe, la France propose à la Russie de lui rembourser les sommes déjà versées pour le Vladivostok, mais aussi son sistership, le Sevastopol, en achèvement à Saint-Nazaire pour une livraison théorique prévue en octobre. Selon le quotidien Kommersant, les Français proposent de rendre 784.6 millions d’euros aux Russes. Sauf que ceux-ci ne sont pas d’accord, estimant apparemment qu’en plus des sommes liées directement à ce contrat, le programme a engagé différents frais, comme l’adaptation d’infrastructures portuaires pour l’accueil des BPC ou encore la mobilisation, pendant six mois l’an dernier à Saint-Nazaire, du bâtiment école Smolniy. Ce dernier a servi de caserne flottante pour la majeure partie des 400 marins russes (les équipages du Vladivostok et du Sevastopol) venus se former en France. En tout, Moscou réclame 1.163 milliard d’euros, soit quasiment l’équivalent du coût du programme, évalué en 2011, au moment de la signature du contrat, à 1.2 milliard d’euros.
Le bâtiment école russe Smolniy à Saint-Nazaire l'an dernier (© MER ET MARINE - V.GROIZELEAU)
Obtenir l’accord du Kremlin pour la revente
Dans ce bras de fer, les Russes sont clairement en position de force, du fait qu’ils peuvent jouer sur une défaillance française dans l’exécution du contrat. Ainsi, au cas où un accord satisfaisant ne serait pas trouvé, ils pourraient se retourner vers une cour d’arbitrage. En outre, l’accord des Russes est contractuellement obligatoire pour permettre à la France de revendre les BPC à un autre pays. Or, pour le moment, le Kremlin dit niet. C’est sur l’ensemble de ces facteurs que l’affaire va se jouer, avec comme impératif, pour l’Elysée, de limiter au maximum la casse.
Le Sébastopol (© Yves-Laurent Couëdel) |
Les BPC (© Yves-Laurent Couëdel) |
Les BPC russes (© Yves-Laurent Couëdel) |
La France y perdra probablement des plumes
Dans tous les cas, on voit mal comment la France pourrait ne pas perdre de plumes dans cette affaire. L’annulation du contrat coûtera-t-elle 100, 200, 300 millions d’euros ? Moins, plus ? Impossible à dire pour le moment. Tout dépendra dans un premier temps des modalités financières de l’accord final qui sera conclu avec la Russie. Et ensuite de la concrétisation d’une revente des deux BPC, impérative pour éviter que le coût du programme russe ne soit assumé par l’Etat. Car le gel de la livraison est une décision politique indépendante de la volonté des industriels français, avec DCNS comme maître d’œuvre et STX France comme sous-traitants. Ces derniers se retourneront donc vers les pouvoirs publics pour payer la note, sachant de toute façon que le contrat est couvert à plus de 90% par la Coface, l’agence française de crédit à l’exportation.
Le Vladivistok (© MICHEL FLOCH)
La revente, une opération potentiellement complexe
Qui pour reprendre les BPC ? Là encore, il y a plusieurs options. S’il s’agit d’une marine utilisant des standards OTAN, il faudra entreprendre de très lourds travaux sur les bâtiments, qui sont aux normes russes, y compris pour les réseaux électriques. Une facture d’une centaine de millions d’euros par bateau est avancée dans les coursives, mais cette estimation est à prendre avec précaution car non vérifiée.
Cela dit, la piste d’un client occidental n’est pas la plus plausible. Seul le Canada, éventuellement, pourrait avoir un intérêt à acquérir les ex-BPC russes, qui sont équipés pour opérer dans des eaux polaires. Mais Ottawa ne s’est pas, jusqu’ici, montré très fébrile sur le sujet. Quant au Portugal, également évoqué dans la presse, cette hypothèse est normalement à exclure puisque le pays, s’il souhaite se doter d’une unité de projection, n’a pas les moyens de s’offrir un bâtiment neuf. Les Portugais se sont en revanche positionnés pour racheter le transport de chaland de débarquement français Siroco, qui sera retiré prématurément du service cette année et a été mis en vente au prix de 80 millions d’euros (soit environ 7 fois moins qu’un BPC neuf).
Le Sébastopol (© Yves-Laurent Couëdel) |
Moins de contraintes avec des marines hors OTAN
Plus simple et évidente serait donc la cession des Vladivostok et Sevastopol à une marine étrangère n’utilisant pas les standards OTAN et, mieux encore, un client disposant déjà de matériel russe. L’Inde est l’un des meilleurs candidats en la matière. Le pays a en effet lancé un appel d’offres pour acquérir deux à quatre bâtiments de projection (à réaliser localement) et la France y a répondu avec son design de BPC. La Chine, qui a aussi été évoquée, peut constituer une option mais, dans ce cas, mieux vaut s’attendre à voir les chantiers chinois réaliser rapidement des copies plus ou moins proches et les proposer à l’export. Quant à l’Egypte, autre candidat potentiel dont le nom circule dans les journaux, cette solution serait assez étonnante. Le Caire a, en effet, eu du mal à boucler financièrement sa commande portant sur 24 Rafale et une frégate du type FREMM. On voit donc difficilement comment les Egyptiens pourraient se payer en plus des BPC. Leur candidature au rachat du Siroco parait plus logique.
Un achat groupé ou séparé qui peut prendre du temps
La vente groupée des deux BPC n’est, ceci dit, pas impérative. Ils peuvent être cédés à deux marines différentes, notamment si l’une d’elles souhaite disposer au plus vite d’une unité opérationnelle et réaliser ensuite, en transfert de technologie, des sisterships.
Même s’il est dans l’intérêt de la France de revendre au plus vite les bateaux, afin qu’ils pèsent le moins possible sur les finances publiques, l’opération pourrait prendre un certain temps. Il faut en effet trouver un repreneur et s’accorder avec, sachant que les clients potentiels voudront avoir la certitude que le rachat des BPC ne posera pas de problème diplomatique avec Moscou. Une situation aussi délicate peut, par ailleurs, constituer une aubaine pour mieux négocier et obtenir le meilleur prix.
Vont-ils rester à Saint-Nazaire ?
En attendant, il conviendra de voir, dès lors qu’un accord sera conclu avec les Russes, si les BPC ne seront pas transférés à Brest et mis sous cocon au cas où une reprise se ferait attendre. Cela permettrait de limiter les frais. Maintien en condition opérationnelle, gardiennage, sécurité à bord, infrastructures portuaires… Les coûts sont actuellement évalués à au moins 1.5 million d’euros par mois pour le Vladivostok, qui doit rester prêt à être livré et immobilise un quai du port de Saint-Nazaire depuis bientôt sept mois.
Le Vladivistok et le Sevastopol (© MER ET MARINE)
Le démantèlement, option ultime
Il y a évidemment l’hypothèse qu’aucun repreneur ne se manifeste. Dans ce cas, après une attente plus ou moins longue, il pourrait être décidé de démanteler les BPC. C’est une solution ultime, mais elle n’est pas à écarter. Et elle sera clairement à l’ordre du jour si, d’aventure, la Russie refusait à la France le droit de réexporter les bâtiments. Car, si l’on peut imaginer une pirouette consistant à revendre deux des trois BPC français à l’export et intégrer dans la Marine nationale les ex-bâtiments russes, cette théorie semble aussi complexe que coûteuse.
Le BPC français Tonnerre (© EMA)
La marine française n’en veut pas
Quant à l’éventuel transfert des Vladivostok et Sevastopol à la flotte française, en plus de ses propres BPC, ce scenario est à priori à exclure. D’abord, parce que les marins n’en veulent pas, sachant pertinemment qu’il faudrait un lourd chantier d’adaptation et que le coût de cette reprise pourrait, dans un environnement budgétaire particulièrement contraint, impacter des programmes prioritaires. Certes, la Marine nationale, qui dispose déjà de trois BPC (Mistral, Tonnerre et Dixmude), devait initialement en avoir un quatrième, qui a fait les frais des restrictions budgétaires. Mais à l’état-major, on estime que le format actuel de la composante de projection est bon, du fait notamment de la grande disponibilité des bâtiments.
Merci à Yves Laurent pour ses photos.