10 janvier 2023

Navire hôpital LE CHANTILLY guerre Indochine la sale guerre Messageries Maritimes

Navire hôpital Le CHANTILLY



Lancé le 14 mars 1922 à St Nazaire, commandé par les Chargeurs Réunis sous le nom de KERGUELEN, puis racheté sur cales par la compagnie des MM avec deux de ses sisterships: COMPIEGNE et FONTAINEBLEAU. 


Affecté à la ligne d'Indochine Marseille-Saigon Haiphong, premier départ 17 janvier 1924, puis en alternance sur l'Océan Indien. En novembre-décembre 1931, il rapatrie de Marseille à Saigon le groupe de canaques exhibés au bois de Boulogne pendant l'Exposition Coloniale. Le 24 juillet 1936, il s'échoue sans gravité près de Saigon.


Réquisitionné pour l'expédition de Norvège en 1940, s'arrête finalement dans la Clyde. Capturé par les britanniques le 1er janvier 1941, peu utilisé, il est transformé en navire-hôpital en 1944. 

Rendu aux services contractuels des MM en 1945, il reste navire hôpital jusqu'en 1946, puis assure les voyages sur l'Indochine jusqu'en 1951. rendu à la Marine Marchande en janvier 1951. Démoli en 1952 ou 1953.

Pendant la dernière guerre mondiale, le Service de santé de la Marine s'exerce tant à la mer (navires hôpitaux Canada et Sphinx en Norvège et à Dunkerque) que dans les hôpitaux de la métropole, en Afrique, aux Antilles et en Grande-Bretagne où existe un Service de santé des forces navales françaises libres. Ces hommes honorent leur profession.

Au cours de la guerre d'Indochine, des moyens médicaux considérables sont déployés sur mer. Des paquebots, le Canada, le Chantilly,


l' Ile-de-France, l' Orégon et le Pasteur sont équipés d'installations analogues à celles des navires hôpitaux.

De 1945 à 1954, environ cinq mille rapatriés sanitaires par an sont évacués vers la métropole — la plupart sont des blessés déjà opérés à Hanoi et à Saigon.


Pendant la guerre, on peut signaler qu'un autre paquebot français, le Chantilly, est armé comme navire-hôpital. D'abord transport de troupes, il a été capturé à la fin de 1940 par la Royal Navy et navigue, géré par la British India, comme navire-hôpital pour compte anglais. Récupéré par ses armateurs, il est affecté en janvier 1946 mais comme navire-hôpital civil à l'évacuation des blessés et des malades d'Indochine. 

COLS BLEUS 15-10-1977 n° 1491



"L'odyssée du navire-hôpital Chantilly en 1946"...

Long de 146 mètres, il avait un port en lourd de 8500 tonnes, il était propulsé par six chaudières au charbon. Son état-major était de 15 officiers, son équipage de 180 hommes dont 30 boys annamites et 52 soutiers originaires de Djibouti.
Il avait été réquisitionné en 1940 en même temps que son sister-ship, le Compiègne, pour l'expédition de Norvège, mais les deux n'ont pas dépassé la Clyde et ont été rendus à la France à Casablanca en décembre 1940.
Arraisonné par les Britanniques le 1er janvier 1941, il est conduit à Gibraltar. En 1945 il est rendu au gouvernement français qui charge les Messageries Maritimes de l'exploiter.
Il est alors réquisitionné et transformé en navire-hôpital pour la guerre d'Indochine. Son équipage reste civil. 

Une mission médicale de la Marine Nationale embarque à bord, elle est composée d'un médecin en chef, d'un médecin de 1re classe, un de 2e classe, d'un médecin aspirant, d'infirmiers et de six infirmières de la marine.
Les travaux de transformation en navire-hôpital sont effectués à Marseille, ils traînent en longueur ils sont sans doute moins rentables que d'autres au moment où on reconstitue notre marine marchande, et les entreprises y mettent peu d'ouvriers.

En mai 1946 le navire reprend enfin vie, l'équipage est complété, en particulier une partie du service général. La mission médicale est déjà à bord. Le 2 juin on annonce que le navire devrait quitter Marseille dans 48 heures avec un plein chargement de malades indochinois et malgaches (un détour est prévu par Madagascar à l'aller). Au retour le Chantilly devrait rapatrier de Saïgon des malades et blessés militaires et civils. En fait le navire ne pourra appareiller que fin juillet. La mission médicale surveille l'installation des locaux hospitaliers, et complète le matériel médico-chirurgical et les stocks de médicaments. Une grande croix-rouge est peinte sur fond blanc de chaque bord de la coque.
La machine donne de gros soucis aux mécaniciens. Mais, étant donné le retard, on décide, bien imprudemment, de supprimer les essais à la mer avant le départ.

COMBAT -13-1-1950
L'équipage ne semble pas mettre beaucoup de bonne volonté, et l'ambiance à bord n'est pas bonne, chacun reste dans son coin. On sait qu'à cette époque la guerre d'Indochine était mal vue, on parlait de "la sale guerre", des manifestations et même des sabotages avaient lieu. Rappelons-nous l'affaire Henri Martin à Toulon.
Le 28 juillet commence l'embarquement des malades qui viennent de toute la France. Il y a une véritable noria d'ambulances réglée par des gendarmes maritimes.
En plus des infirmiers de la marine, on embarque six infirmières militaires et six infirmières civiles. Parmi les malades, les plus atteints sont des Malgaches dont beaucoup de lépreux. On a embarqué aussi des passagères des épouses de militaires qui vont retrouver leurs maris en Indochine et pour lesquelles on a réservé l'une des deux cales arrière.

L'Humanité  1-12-1949
Le 31 juillet, les chaudières sont montées en pression. Dans cette manœuvre, il y a un moment délicat lorsqu'on couple les six chaudières ensemble qui doivent fournir la vapeur aux turbines les six chaudières doivent avoir la même pression. Mais tout se passe bien.
L'appareillage a lieu le 1'" août 1946 au soir en direction de Port-Saïd. Le 2 août, les ennuis de machine commencent et au matin il est décidé de rentrer à Marseille pour réviser les réducteurs et les condenseurs. Pendant trois jours, les chantiers navals travaillent cette fois jour et nuit. la cargaison de malades est évidemment restée à bord.
On reprend la mer le 6 août. Les Bouches de Bonifaccio et le Détroit de Messine sont deux passages délicats pour la navigation et il y a intérêt à ce que les machines marchent bien. Par une malheureuse coïncidence, dans les Bouches de Bonifaccio précisément, on signale qu'à la machine, la butée de la turbine haute pression à tribord chauffe anormalement car l'huile n'arrive plus. Heureusement le commandant est à la passerelle et il n'y a pas de conséquences. Mais il faut démonter les tuyautages. On s'aperçoit alors que toutes les tubulures sont bouchées par des morceaux de chiffon. 'La machine tribord doit être stoppée.

La navigation reprend sur un moteur jusqu'à Port-Saïd, où les réparations nécessaires sont effectuées, ainsi que le ravitaillement en charbon. C'est un travail harassant dans la poussière et la chaleur, assuré par les Djiboutis. La traversée du canal de Suez se fait sans problème. La température de l'eau de mer atteint 30°, elle dépasse 42° au parquet de manoeuvre de la machine. Le médecin chef se plaint du manque de ventilation dans les locaux hospitaliers.


A la sortie du canal de Suez, le premier mort, un Indochinois, est immergé selon le cérémonial officiel, très pénible. A l'infirmerie, les infirmières donnent les soins aux malades, ils sont particulièrement douloureux chez les lépreux aux chairs à vif. Un Indochinois apporte son aide. On apprend bien vite que celui-ci est en réalité un proche d'Ho Chi-Minh, que le gouvernement, sur la pression de parlementaires, a décidé d'expédier à Saïgon par cette voie maritime. Ce Vietnamien est bien vite devenu le chef de tous les boys.
Le 28 août, le Chantilly quitte la Mer Rouge en passant par Périm. C'est précisément à ce moment qu'à la machine les paliers du groupe tribord chauffent anormalement. Au démontage, on s'aperçoit encore que tous les tuyaux sont bouchés par des morceaux de chiffon. A peine replacés, la température remonte et il faut à nouveau démonter pour retrouver encore des morceaux de chiffon. Le jeune officier mécanicien qui est de quart va trouver son chef mais celui-ci n'est pas du tout impressionné et renvoie vertement son subordonné quand un bruit énorme retentit dans la machine et que le bateau en est ébranlé. On est alors en plein Détroit de Bab-el-Mandeb, face à Périm. Heureusement le groupe turbine bâbord peut être remis lentement en marche tandis que le tribord est isolé. Au démontage, les mécaniciens s'aperçoivent que le pignon du réducteur de la moyenne pression est complètement édenté et semblable à un cylindre. On se dirige vers Aden, mais pour l'accostage on a besoin de la dynamo "une". Or le jeune officier mécanicien, toujours le même, paré à manoeuvrer, constate que cette dynamo n'est pas en fonctionnement. Les mécaniciens de quart ne sont pas à leur poste, il met lui-même en marche la dynamo. Mais une énorme déflagration se produit. Le local machine se remplit de vapeur, le jeune mécanicien parvient à s'extraire du compartiment dans le noir. Le chef mécanicien accouru se rend compte que le haut du cylindre a volé en éclats : un écrou scié avait été placé intentionnellement entre le haut du piston et le haut du cylindre et l'explosion s'est produite à la mise en marche. L'écrou n'a pu être placé qu'après le départ de Marseille. Le chef mécanicien ne veut pas que cela s'ébruite et annonce qu'il fera lui-même le rapport d'accident. L'équipage était-il au courant ? C'est bien probable. Des réparations provisoires sont faites pendant l'escale à Aden. La réparation définitive pourra être réalisée à Tamatave, avec l'aide de techniciens de l'arsenal de Diego-Suarez.
Après une courte escale à Djibouti pour embarquer de l'eau douce le 4 septembre 1946, le Chantilly appareille pour Tamatave avec le seul groupe de turbine bâbord. Il y a déjà plus d'un mois qu'il a quitté Marseille.
Pendant cette partie de la traversée, le personnel du service général met de plus en plus de mauvaise volonté à faire son travail, au point qu'un matin les tables ne sont pas servies au carré des officiers. On apprend par les infirmières que le grand Indochinois de l'infirmerie donne l'impression qu'il prépare un coup. Mais quoi ? une mutinerie ? on ne voit pas bien comment des mutins pourraient se débrouiller avec un navire dans cet état.
Le 11 septembre, tous les membres du carré sont réveillés par de violentes douleurs abdominales accompagnées de diarrhées. Après discussion entre le chef mécanicien, président de carré et le médecin-chef, on comprend que les
Vietnamiens employés pour nettoyer les locaux de l'infirmerie et de la pharmacie ont pu se procurer de l'ester d'acide cyanhydrique qui s'y trouvait. Tout le monde guérit heureusement et encore une fois l'affaire n'est pas ébruitée. Mais par ailleurs des problèmes mécaniques se produisent à la machine. La cale de la chaufferie se remplit d'eau que les pompes défaillantes ont beaucoup de peine à évacuer. L'équipage semble montrer de plus en plus d'hostilité envers les officiers. Il y a des meneurs sûrement, mais une grande partie de l'équipage ne peut pas faire autrement que de suivre. Dans la soute à charbon plusieurs petits foyers d'incandescence apparaissent et il faut retourner des tonnes de charbon pour les éliminer.
On arrive enfin à Tamatave le 21 septembre 1946. Les malades malgaches sont débarqués et emmenés par des ambulances. La réparation de la machine commence avec les techniciens de Diego-Suarez, elle va durer un mois.

Le 5 octobre, on apprend au matin que le commandant est hospitalisé à terre, il décède deux jours après. Je n'ai malheureusement pas retrouvé les cahiers de visite de l'époque. Un mystère est entretenu autour de ce drame, mais le chef mécanicien pense que l'empoisonnement dont est mort le commandant est un accident.
A la fin des réparations, le second, qui est devenu le nouveau commandant, décide de regagner Djibouti après essais.
Le début du trajet se passe bien jusqu'à l'approche de Gardafui. C'est alors que l'eau recommence à monter dans la cale de la chaufferie. Le second mécanicien qui va vérifier les pompes, s'aperçoit que le graissage ne se fait pas car un robinet est mis en mauvaise position. Aucun mécanicien n'est à son poste dans la machine. Sans aucun doute il y a eu sabotage pour arrêter de façon irrémédiable la propulsion du navire. Le chef mécanicien, encore une fois demande de ne pas ébruiter ce qu'il considère encore une fois comme un incident.

On atteint finalement Djibouti. Il est alors question d'appareiller pour Suez. Le but de toutes les manœuvres était sans aucun doute d'empêcher le navire d'aller en Indochine. Il semble atteint. Il est précisé que les passagers et malades destinés à l'Indochine seront transférés sur un navire anglais le Somersetshire, qui était l'un des navires-hôpitaux anglais pendant l'expédition de Norvège en 1940.
Mais 36 heures après avoir quitté Djibouti, le même incident avec le robinet du bac à huile se reproduit. Le navire est obligé de rejoindre Port-Soudan pour des réparations qui s'avèrent longues et difficiles. Le Somersetshire, rejoint le Chantilly dans ce port pour prendre en charge les malades et femmes de militaires, ainsi que les médecins, infirmiers et infirmières militaires qui étaient destinés à rester en Indochine. Seules les infirmières civiles restent à bord du Chantilly.
Après remise en état de la machine, le Chantilly appareille pour Port-Saïd et Marseille. Aucun nouvel incident ne vient perturber ce retour. Le navire entre au port de Marseille le 7 décembre 1946, quatre mois après son départ. Les réparations sont faites par des chantiers civils sous le contrôle d'ingénieurs de la marine.

Nous avons pu reconstituer l'histoire de ce voyage mouvementé grâce aux notes prises par un jeune officier mécanicien du bord qui est sorti très amer de cette aventure.
Au retour à Marseille il s'est adressé à son chef mécanicien pour savoir si des sanctions seraient prises contre certains membres de l'équipage machine. Il lui fut répondu qu'il avait "d'autres chats à fouetter". Il termine ses notes par cette phrase "Je reviens à la folie de marins qui sabotent leur navire sans en avoir l'air et à mon avis avec une certaine impunité. Il est vrai que nous sommes en guerre en Indochine".
Il a noté tous les incidents sans porter d'accusations précises. Les motivations des différents auteurs n'étaient probablement pas toutes les mêmes.
Que deviendra, par la suite, le Chantilly ? Il restera navire-hôpital jusqu'en 1949, sera remplacé ensuite par le navire-hôpital Orégon, qui assurera le transport des malades et blessés entre le Vietnam et la France jusqu'en 1955 en compagnie de l'Ile-d'Oléron pour quelques voyages et surtout du Pasteur.


Sources 

https://www.messageries-maritimes.org/chantilly.htm


Cols bleus

La Vigie Marocaine

Bulletin de l'Académie du Var 2000


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