1922 - Longchamp -la revue du 14 juillet
Un carton d'invitation pour la revue du 14 juillet me permet d'évoquer cette grande manifestation. Merci à Krokfoch.
"Tout à coup on crie vive la France, crédié c'est la revue qui commence ! Je grimpe sur un marronnier en fleur, et ma femme sur le dos d'un facteur. Ma tendre épouse bat des mains quand défilent les Saint-Cyriens, moi je faisais qu'admirer notre brave général Boulanger."
En revenant de la revue est une chanson de Lucien Delormel et Léon Garnier pour les paroles, Louis-César Desormes (1840-1898) pour la musique, créée par Paulus à la Scala à Paris en mai 1886. Les paroles présentent une satire de la petite-bourgeoisie séduite par le général Boulanger, racontant un pique-nique patriotique virant à la bacchanale
LE 14 JUILLET 1922 A PARIS
PARIS, 14 juillet. Il est sept heures du matin. La Ville, la ville immense où d'habitude en ces premiers moments du jour, des centaines de milliers d'hommes et de femmes circulent déjà en tous sens, la ville aux bruits innombrables est silencieuse et presque déserte. Des balayeurs, quelques marchands, quelques autobus c'est tout. Paris est à Longchamp.
C'est la première fois, depuis 1914, en effet que la revue a lieu dans ce cadre à la fois grandiose et charmant.
Le temps est frais, le ciel légèrement couvert, les routes bien arrosées les verdures du bois de Boulogne, avivées par les brumes de la nuit, sont intenses comme aux derniers jours du printemps. Et parmi les bosquets, dans les clairières lumineuses, aux larges carrefours l'on voit apparaître les bataillons en marche, magnifiques parterres mouvants de fleurs bleues, rouges, blanche, ou brunes, tandis que retentissent au loin les puissantes fanfares de la garde, de l'infanterie de la cavalerie et des coloniaux.
Mais voici que l'attente de la multitude se concentre autour d'un carré symbolique, d'ou parlent des rayons d'or et des trainées de pourpre. C'est la tribune présidentielle autour de M. Millerand, des ministres, des maréchaux, du roi d'Annam et de son fils, des chefs indigènes de l'Afrique Occidentale. des Marocains en blancs manteaux, autour de ce qui est la France prochaine et lointaine, la France d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Le corps diplomatique est groupé, en grand uniforme. Le nonce, en "cappa " ponceau, s'entretient, souriant, avec M. Léon Bourgeois l'ambassadeur, d'Espagne et M Myron Herrick causent avec M. Raoul Péret, l'ambassadeur du Japon' regarde les troupes, immobile et muet le ministre de Perse, coiffé d'astrakan, le ministre de Tchécoslovaquie, au béret rehaussé d'une plume noire, l'ambassadeur d'Italie, les ministres des Républiques Sud-Américaines viennent, tour a tour. saluer le Président de la République. L'ambassadeur d'Allemagne, en habit noir, est en conversation suivie avec M. Colrat. Les ministres de Belgique et de Pologne abordent en souriant M. Poincaré et M. Maginot.
Soudain, après un éclat de trompettes, le défilé commence. Tout le monde est debout tète nue. L'on vous dira plus loin les acclamations de la foule au passage des étendards et des troupes qui les suivent, acclamations indescriptibles, voix immense qui monte se calme, s'éteint, puis s'enfle ci nouveau comme une tempête, et qui dit à nos officiers et à nos petits soldats la gratitude émue de la Patrie.
Algériens, Africains d'Occident, Indochinois sont salués d'un applaudissement formidable et, certes, abondamment mérité. La même clameur accueille Polytechnique, l'Ecole Navale, les fusiliers-marins, les chasseurs à pied.
A LONGCHAMP
Comme tous les ans, la revue est le clou de cette journée. Elle a lieu aujourd'hui pour la première fois, ainsi qu'il était de tradition avant la guerre, sur l'hippodrome de Longchamp, aux environs du champ de courses. Dès 5 heures, la foule des parisiens est déjà considérable.
Quand les tribunes s'ouvrent, elles sont envahies à 6 h. 30, il devient impossible de trouver des places.
Autour de la pelouse, une masse compacte se presse a faire craquer les barrières. Les régiments arrivent
A 7 heures, on perçoit les premiers appels des fanfares et des clairons. Ce sont les premiers régiments qui approchent. Tous sont acclamés par la foule mais les troupes noires, les chasseurs et les marins sont l'objet de particulières ovations.
Dans un ordre parfait, les régiments entrent sur le terrain et. drapeaux déployés, gagnent leur place de bataille. Les troupes Sont placées sous les ordres du général Berdoulat gouverneur militaire de Paris, et du général Simon, chef d'état-major.
C'est le général Berdoulat qui doit présenter les troupes au Président de la République, et qui, à cheval, en passe rapidement l'inspection.
Le spectacle de cette vaste pelouse hérissée de casques, couverte d'uniformes bleu horizon, kaki ou bleu marine, où brille l'éclair des baïonnettes, où les drapeaux tricolores claquent au vent, est splendide.
On remarque fort les riches costumes de l'empereur d'Annam et des dignitaires de sa suite qui occupent une loge voisine de celle du président. Les 23 chefs noir. du Sénégal, du Soudan, de la Mauritanie. de la HauteVolta. du Dahomey, de la Côte d'Ivoire et de la Guinée, et leurs trente suivants, qui ont pris place un peu plus loin, font également l'objet de la curiosité de la foule.
Un peu avant 8 heures, M. Léon Bourgeois, président du Sénat, et M. Raoul Péret, président de la Chambre des Députés, font leur entrée dans la cour d'honneur en landaus découverts. Ils sont suivis des membres des bureaux des deux Assemblées et escortés par des dragons portant la lance avec oriflamme.
A noter qu'en 1922, à Marseille se tient l'Exposition Coloniale.
La daumont présidentielle
Attelage à la d'Aumont (ou Daumont), attelage à quatre ou à six qui n'utilise pas de cocher, mais des postillons montés. Les voitures attelées à la d'Aumont n'ont pas de siège de cocher. Ce sont traditionnellement des grands ducs, des victorias, des calèches et des landaus.
A 8 heures, la daumont présidentielle, escortée de spahis dont les longs manteaux rouges flottent au vent et conduite par les piqueurs de l'Elysée en culotte rouge, pénètre sur le terrain.
Les musiques ouvrent le ban.
M. Millerand, en habit, la poitrine barré du grand cordon de la Légion d'honneur, est accompagné de M. Maginot, ministre de la Guerre. En face de lui ont pris place le général Buat, chef d'état-major général de l'armée, et le vice-amiral Grasset, chef d'état-major de la marine.
Une immense acclamation salue l'arrivée du chef de l'Etat. Un drapeau est alors hissé sur la tribune présidentielle et un autre sur le moulin. Les canons placés sur les berges de la Seine tirent la salve réglementaire tambours et clairons battent et sonnent aux champs
Le général Berdoulat s'avance à la rencontre du Président qu'il salue de l'épée, puis il galope à la portière de droite, suivi de tout son état-major. Les musiques jouent la Marseillaise tandis que les coups de canon se succèdent de demi-minute en demi-minute. Le chef de l'Etat passe rapidement devant le front des trois. lignes. se découvrant et s'inclinant, devant-les drapeaux et les étendards des régiments immobiles, puis s'arrête à la hauteur de la tribune d'honneur où il est reçu par les maréchaux de France, Joffre, Foch et Pétain.
Les nouveaux maréchaux
C'est alors l'appel des maréchaux nouvellement promus
Le maréchal Franchet d'Espérey, le premier s'avance et s'arrête, face au chef de l'Etat, dans l'attitude du garde-à-vous. M. Millerand, cependant que les troupes présentent les armes, prononce la formule traditionnelle, puis il ajoute
« Le 28 septembre 1918, trois plénipotentiaires ennemis se présentaient votre Grand Quartier Général de Salonique pour réclamer un armistice, dont ils acceptaient toutes les conditions. C était la premières capitulation annonciatrice de l'effondrement définitive et de notre victoire.
A l'officier général qui sut l'imposer par les qualités d'initiatives, de sang-froid, d'énergie, affirmées dans ses commandements successifs, du début à la fin de la grande guerre, le Gouvernement de la République se devait de conférer la dignité suprême, dont je suis heureux de vous remettre aujourd'hui l'insigne
Le Président remet le bâton de velours bleu aux étoiles d'or au maréchal, puis il lui donne l'accolade.
Le maréchal, visiblement émue, salue de l'épée et se retire.
La musique ferme le banc et joue la Marseillaise
Elle rouvre le banc (sic)
C'est au tour du maréchal Fayolle de s'approcher.
Le même cérémonial préside à la remise du bâton.
Les spectateurs ont suivi tête nue la double cérémonie et acclamé chaleureusement les deux maréchaux.
On sait d'autre part que le maréchal Lyautey devait également recevoir aujourd'hui le bâton de maréchal. La maladie l'en a empêché.
La médaille à l'amiral Lacaze
Un officier d'ordonnance donne ensuite lecture de la citation par laquelle la médaille militaire est décernée à l'amiral Lacaze ancien ministre. Le Président de la République accroche sur la poitrine du grand marin la consécration d'une vie toute de courage et de dévouement à ta Patrie, puis il lui donne l'accolade.
Le Président de la République, suivi des maréchaux de France, se fait ensuite présenter les vingt-deux chefs noirs pour chacun desquels il a un mot aimable.
LE DÉFILÉ
A 8 h45. M. Millerand prend place au centre de la tribune. Quelques instants plus tard les troupes commencent à défiler devant le chef de l'Etat.
La musique de la Garde républicaine vient en tête, puis ce sont. les grandes écoles militaires, Polytechnique, Saint-Cyr. Navale. Viennent ensuite le bataillon de la Garde républicaine, les sapeurs-pompiers, le 340 régiment d'aviation, les ler et 5e régiments du génie.
Nos marins sont acclamés
Mais les applaudissements se font plus nourris ce sont les compagnies d'apprentis marins, de canonniers marins et de fusiliers marins qui approchent, précédées de la musique des Equipages de la Flotte. D'une tenue irréprochable, ils passent dan» un alignement parfait.
Les mousses de la marine les apprentis marins n'ont pas pu défiler à la revue à cause d'une bénigne épidémie d'oreillons qui a atteint ces jeunes gens à leur arrivée à Paris. On a tenu prendre pour eux toutes les précautions et à leur épargner une fatigue inutile.
Mais voici que la « Sidi-Brahim » retentit ce sont les deux bataillons de chasseurs alpins, hier encore, étaient en Silésie. Immédiatement ils sont suivis par les 1er et 5e groupes de chasseurs cyclistes. Mais de nombreux regards se tournent vers le ciel. Les escadrilles du 34e régiment d'aviation survolent la revue en formation de bataille. Les escadrilles succèdent aux escadrilles, empruntant les déploiements les plus divers. Et ce spectacle nouveau pour beaucoup retient longtemps l'attention de la foule qui ne cesse de. pousser des hourras et d'agiter des mouchoirs.
Maintenant ce sont les troupes qui défilent d'une allure splendide coloniaux, tirailleurs algériens et sénégalais, malgaches et indochinois.
C'est ensuite les équipage des Ponts et du 1er régiment d'aérostation. l'artillerie et enfin la cavalerie. Le demi régiment de spahis ouvre la marche. Les magnifiques montures, les grands manteaux rouges font impression au milieu de !a plaine et leur arrivée est saluée par des bravos nourris.
L'escadron de Saint-Cyr, la Garde républicaine, la 1ere division de cavalerie viennent ensuite, et enfin le groupe d'artillerie légère, les auto-mitrailleuses, les auto-canons et le 503° régiment de chars de combat.
La revue est terminée, M. Millerand regagne la présidence au milieu des acclamations.
Au retour du cortège officiel, un illuminé tire en vain trois coups de revolver sur la voiture du préfet de police qu'il avait prise pour celle de M. Millerand
Et, comparant les allures et l'esprit de chacune de nos armes, j'admirais la splendide et féconde diversité de nos forces dans l'unité de notre pensée. Pourquoi faut-il qu'un attentat imbécile soit venu troubler l'heureuse et puissante harmonie de cette matinée ? L'auteur de ce coup n'est, du reste, lui-même, que la victime à peu près irresponsable des excitateurs qui, chaque jour, sèment la haine, la discorde et la fureur anti-françaises. Ce n'est pas à Bouvet qu'il faut appliquer l'extrême rigueur des lois. c'est aux hommes et aux hommes publics qui n'opèrent pas eux-mêmes et dans leurs appels ont armé le bras de cet enfant. L.-A. Pagès.
-Au retour de la revue de Longchamp, au moment où le cortège présidentiel quittait l'avenue des Champs-Elysées et allait s'engager dans l'avenue Marigny pour rentrer à l'Elysée, trois coups de revolver ont été tirés sur la voiture occupée par le Préfet de Police et qui précédait celle du Président de la République. Disons tout de suite que l'attentat n'a fait, heureusement, aucune victime. Voici, d'ailleurs, dans quelles conditions il s'est produit.L'attentat manqué
Son auteur, ancien secrétaire des jeunesses communistes, voulait tirer sur le Président de la République
Paris, 14 juillet.
En tête du cortège présidentiel revenant de Longchamp marchait une automobile de la Préfecture de Police dans laquelle avait pris place un commissaire divisionnaire en tenue. Quelques mètres plus loin, M. Naudin, préfet de police, se tenait dans une automobile qui était également. occupée par M. Marlier, directeur du Cabinet du Préfet, et par M. Guichard, directeur de la police municipale. L'auto roulait très lentement. Ni. Naudin se retournait pour voir si le cortège présidentiel suivait sa voiture, laquelle était immédiatement suivie par l'escorte de spahis à cheval. C'est à ce moment que des détonations retentirent. Un maigre et long jeune homme d'aspect débile, venait de tirer dans la direction du préfet de police, à hauteur d'homme, et tentait de s'enfuir. La foule qui était à cet endroit très nombreuse, s'est immédiatement ruée sur l'individu, tandis que des agents cyclistes du peloton d'escorte s'opposaient à sa fuite en lui jetant leurs machines dans les jambes.
En même temps, un grand nombre de spectateurs se retournaient vers la voiture du Président de la République et criaient à M. Millerand ̃ N'avancez pas, on vient de tirer Mais le Président de la République qui. par suite du bruit des voitures, ne s'était pas aperçu de l'attentat, donnait l'ordre de continuer la route. Tandis que les agents cyclistes empêchaient l'auteur de l'attentat de fuir, l'inspecteur principal Poupard et le brigadier chef Paddi arrivaient à temps pour l'appréhender et l'arracher des mains de la foule qui voulait le lyncher.
L'agresseur a été conduit au commissariat du quartier des Champs Elysées où il a été interrogé.
Il a déclaré se nommer Bouvet Gustave, dit Juvenes. et être âgé de 20 ans. Il a donné comme adresse. 50, rue des Panovaux. Il est grand, maigre, a le teint très pâle. C'est un anarchiste notoire, ancien secrétaire des jeunesse communistes il a déjà subi deux condamnations.Condamné le 8 janvier 1923 à cinq ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour, peine qu’il accueille aux cris de « À bas la guerre ! Vive l’anarchie ! », il est libéré en janvier 1925.
Nous avons dit que. fort heureusement, cet attentat n'avait fait aucune victime. Personne en effet n'a été blessé seule une dame. Marie Ducamp, demeurant. 7, rue Augereau et qui se trouvait dans la foule devant l'agresseur. a été légèrement brulée par le feu du revolver.
La nouvelle de l'attentat s'est répandue très vite dans Paris et a causé une très vive émotion. Dés son retour à l'Elysée. M. Millerand a été mis au courant de l'attentat M. Millerand a vivement félicité M. Naudin qui nullement impressionné, a répondu « C'est le baptême du feu
L'auteur de l'attentat est originaire d'Angers
Sources :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k646971d.item
Gallica - BnF
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k646971d.item
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