LES RECETTES DE TANTE JEANNE Jean-Michel Bergougniou
Un extrait de la dernière JeanneLettre n° 4 de l'Association des Anciens Marins de la Jeanne d'Arc Section Ile de France octobre 2013
Sur un bateau, tout est histoire d’équilibre. S’il arrive de ne pas retrouver le bord, c’est pour cause de brouillard trop dense, s’il arrive de marcher sur les cloisons, c’est toujours pour cause de mer formée et jamais de « Cambusard » altéré…
Je n’ai jamais connu la soif, j’ai toujours bu avant.
La soif est, avec la faim, un des maux de l’intendance de la Marine. Ni trop ni trop peu. Tout est affaire de compromis (chose due !).
L’eau dans ces temps anciens se conservait mal et ne soulevait pas de la part des équipages un enthousiasme délirant. Tout juste bonne à mouiller le faubert (1) et le pont à l’occasion des corvées. Par contre les boissons alcoolisées recevaient toujours l’agrément de l’équipage. Dans la marine américaine, il était d’usage de dire de tout balancer par dessus bord mais de garder l’alcool… Depuis les choses ont bien évolué et leurs bateaux sont devenus bien secs.
Le vin semble être la boisson qui se conserve le mieux. En plus, il est certain que, dans la Royale, les marins aiment le vin. Bon, les Normands vont dire qu’ils préfèrent le cidre et les Nordistes la bière mais ces breuvages, avant l’invention de la cannette, étaient plus difficiles à conserver que le vin. Les Anglais, nos meilleurs ennemis, ont tout essayé pour tenter de conserver la bière : remplacer le houblon par du genêt, le malt par du frêne et même utiliser comme conservateur de l’eau salée… C’est à ces expériences que l’on juge de la capacité culinaire et gastronomique d’un pays !
De la naissance du Grog
Ces mêmes Anglais eurent alors l’idée d’introduire de l’eau de vie pour remplacer la bière puis ils servirent du rhum après la conquête de la Jamaïque, c’était en 1687 (rappelons ici que ces faux frères brûlèrent Jeanne d’Arc le 30 mai 1431).
On remplaça alors gaillardement le gallon (2) de bière par une demi-pinte de rhum et ceci permit de gagner de la place dans les soutes. Aucun texte n’a prouvé que l’état-major recevait la bière proportionnellement au nombre de galons, c’eût été une façon d’être pinté !
Chez les Anglais, dont une grande partie du vocabulaire vient du français ou du normand, l’amiral portait des vêtements en « grogram » (3) et l’amiral Vernon (4) fut baptisé du fait des ses costumes « Old grog ». En signe de tempérance il introduit le rhum baptisé à l’eau, une pinte (5) de rhum et deux parts d’eau, distribué midi et soir. Le nom lui survivra. La crise aidant, les rations diminuent, la ration du soir disparaît en 1824 et les marins qui ne prenaient pas de rhum touchaient une prime, la « grog money ». Les OM avaient droit de prendre leur rhum pur.
La France est restée fidèle à ses principes et le vin demeure une denrée appréciée sur les bords. Les hôtes du commandant de la Jeanne ont fait honneur aux grands crus servis à sa table ou lors des réceptions et plus d’un y trouva la vérité.
In vino veritas mes frères et toujours avec modération.
Le sommelier de service, JMB.
1 Faubert : Balai réalisé en fils de caret (gros fil de chanvre)
2 Gallon : Il mesure 4,5 litres quand il est impérial
3 Grogram : Le nom vient bien évidemment du français Gros grain. C'est un tissu de soie côtelé.
4 Vernon : C'est une ville du département de l'Eure.
5 Pinte : Mesure utilisée sous l'ancien régime. La pinte anglaise (impériale) vaut 20 onces liquides soit 0,56 litres. Le mot est d'origine française.
photo Yann Le Ny |
Collection JMB |
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