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29 mai 2022

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 New-York Statue Liberté Isère Flore

 Pendant ce temps, le contre-amiral Lacombe, commandant de la Division navale de l'Atlantique Nord, qui a sa marque à bord du croiseur de 1er rang Flore, est en route pour New York venant de Fort-de-France de la Martinique, des Bermudes et de Newport (l'amiral ne dit pas quel Newport). Le 18 la Flore mouille à Gravesend auprès de l'Isère et de l'Omaha.

Croiseur Flore


Le lendemain, 19 juin, c'est le grand jour. Lespinasse de Saune se borne à écrire au Ministre : « Le vendredi 19 eut lieu cette grande manifestation au milieu d'un concours considérable et enthousiaste du peuple américain ». Dans son rapport, l'amiral Lacombe donne davantage de détails. Le 19, écrit-il, l'Isère, précédée par trois bâtiments de guerre américains dont un, le Despatch, arbore la marque du ministre de la Marine des Etats-Unis, arrivé la veille de Washington, et par la Flore, « et suivie d'une nombreuse flotte de bâtiments de toute espèce, chargés de passagers, est venue mouiller auprès de l'île de Bedloe sur laquelle doit être érigée la statue de la Liberté, pour y déposer son chargement. Pendant le trajet, les forts ont fait successivement des saluts de 21 coups de canon auxquels répondaient les bâtiments américains et qui ont été rendus par la Flore, qui a été mouillée (sic.) auprès de l'Isère ».


USS Despatch

Aussitôt après le mouillage, l'amiral se rend à bord du Despatch présenter ses devoirs au ministre de la Marine. Une brillante réception a lieu ensuite à l'hôtel de ville de New York. Le samedi 20 juin, la Flore quitte le « mouillage incommode » de Bedloe's Island pour celui de l'Hudson, parmi les bâtiments de la Marine des Etats-Unis. Le lundi 22, le déchargement de l'Isère commence. Il est mené à bien en trois jours après quoi l' Isère rejoint la Flore dans l'Hudson.

Pendant ce temps les fêtes continuent et, le 25, Lacombe adresse le télégramme suivant à son Ministre « Fêtes ont pris proportions non accoutumées et non attendues hier grand banquet Chambre de Commerce. Je dois remercier mardi autorités et comités. Voudrais recevoir avant dépêche ministre de la Marine ou ministre des Affaires étrangères envoi remerciements pour bon accueil ».

La réponse du ministre de la Marine arrive le 27 et Lacombe en donne connaissance au ministre de la Marine des Etats-Unis à Washington, au gouverneur de l'Etat de New York, au maire de la ville et au président de la Chambre de Commerce. « Demain, mardi, ajoute-t-il dans sa lettre du 29 juin, j'en donnerai en outre lecture pendant la réception qui aura lieu dans l'après-midi à bord de la Flore ».


Ce jour-là, en effet, Lacombe reçoit « les principales autorités municipales, les bureaux et officiers de la Chambre de Commerce, des comités de la Statue, des différents clubs, le commodore commandant l'arsenal et les états-majors des bâtiments de guerre américains, l'état-major général des troupes fédérales, des généraux et officiers de la milice (il s'agit certainement de la très orgueilleuse New York State National Guard dont la caserne se trouve toujours dans le quartier élégant des East Sixties) avec lesquels nous avons été en rapport, des notables de la ville, ainsi que de la colonie française. Le nombre des invités dépassait 300, il en est venu environ 180 qui ont pris place à un lunch assis préparé sur la dunette et sur le pont. La fête a été très réussie, très cordiale, grâce au concours de tout l'état-major de la Flore et l'Isère. Le maire s'était fait excuser au dernier moment ; il a été remplacé par le président du Conseil des Aldermen. M. le comte Sala, premier secrétaire de la légation de Washington, était venu pour représenter M. Roustan ».

USS Omaha

L'amiral, avec beaucoup de doigté, évite la répétition des nombreux discours déjà entendus les jours précédents en portant un seul toast aux deux présidents des Républiques française et américaine, toast salué par une salve de 21 coups de canon. « Cependant, écrit-il, avant le départ, le capitaine de vaisseau Selfridge de l' Omaha a porté en très bons termes un toast à la Marine française en rappelant aux Américains présents qu'elle avait plus fait pour leur indépendance en combattant les flottes anglaises sur toutes les mers que le petit noyau de troupes de terre qui était venu combattre sur leur territoire.

« Les invités se sont retirés à 6 heures du soir en témoignant vivement leur satisfaction ».

Lacombe rend hommage aux deux personnes qui l'ont le mieux aidé : M. Bruwaert, le consul de Chicago remplaçant le consul général de, New York en congé, et M. de Bébian, agent général de la Compagnie Transatlantique. C'est grâce à eux qu'il a pu organiser en peu de temps cette « fête sans précédent dans le pays ». La liste des invitations surtout, observe-t-il, « était pleine d'écueils ». M. de Bébian, depuis longtemps sur place, « a été l'âme du Comité qui a recueilli les souscriptions pour le piédestal de la Statue », et c'est lui également qui a inspiré la succession des fêtes. Il mérite bien la Légion d'honneur, ajoute l'amiral, qui donne encore un détail. Les dépenses de la réception sont très exactement de 7510 francs 97 centimes, mais si la somme est si modique, dit-il, c'est encore grâce à M. de Bébian et à ses employés.


Cependant, la vie reprend son cours normal. L'Isère termine son embarquement de charbon le 2 juillet et appareille le 3 à destination de Brest où elle arrive le 21 juillet, la traversée n'étant marquée que par des exercices et des observations nautiques.

La Flore reste à New York pour la fête nationale du 4 juillet, qui s'est passée fort tranquillement, selon le rapport de l'amiral. « La Flore a pavoisé au lever du soleil en même temps que le Minnesota et, à midi, après que la frégate américaine avait terminé son propre salut, elle a tiré le salut fédéral qui est de 38 coups de canon (un par Etat). Ce salut n'est fait que ce jour-là. Notre acte de courtoisie a été très apprécié et j'en ai reçu des remerciements ».

Le 6 juillet la Flore quitte New York à son tour, pour Sydney (Nouvelle-Ecosse), et la suite normale de son affectation en Atlantique Nord.


La Marine française pouvait à juste titre être fière du rôle des siens dans cette affaire mémorable. Les deux principaux officiers, le contre-amiral Lacombe et le lieutenant de vaisseau de Lespinasse de Saune, étaient tous deux des officiers d'élite ; leurs dossiers personnels sont éloquents à cet égard. Mais il n'y a pas de lettre de félicitations ni d'autres marques
d'appréciation particulière pour leur mission « Statue de la Liberté ». Sans doute pour la Marine ils avaient tout simplement fait leur devoir, mais aujourd'hui, un siècle plus tard, le désir est grand de leur adresser le compliment suprême de l'U.S. Navy : « Well done ».


En conclusion, deux remarques s'imposent à propos de la Statue. Premièrement, la construction du piedestal prend du retard et « Miss Liberty » ne sera « inaugurée » (selon l'expression américaine) que le 28 octobre 1886, par le président des Etats-Unis Grover Cleveland. Deuxièmement, le poème d'Emma Lazarus, « Le nouveau colosse », qui cristallisera la symbolique de l'immigration et en réalisera la symbiose avec l'idéal de la liberté éclairant le monde, ne sera gravé sur le socle qu'en 1903. Quelques lignes de ce poème font partie de la mémoire collective des Américains :

« Keep, ancient lands, your storied pomp"...

Give me your tired, your poor...

Your huddled masses Yearning to breathe free... »

« Gardez, terres antiques, votre faste légendaire

Donnez-moi votre fatigue, votre pauvreté,

Vos masses entassées aspirent à respirer librement"


Et voilà le symbole de l'alliance franco-américaine, d'un siècle d'indépendance républicaine, et de la liberté éclairant le monde comme un phare devenu curieusement le symbole d'accueil de ceux venus en Amérique chercher une nouvelle chance dans la vie. En un mot, « Miss Liberty » symbolise l'espoir. Désormais la somme d'espérances humaines qu'elle représente prend le pas sur son côté intellectuel ou idéologique, et c'est ainsi que de franco-américaine la Grande Dame est devenue universelle.

Dessins André Hambourg

U.B.

Sources 

Cols bleus 11 Janvier 1986 n°1879

Public Library Buttolph Collection


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