20 novembre 2015

NORVÈGE 1942 : Nous n'étions que trois sous-marins français

sous-marins français  JUNON
Norvège 1942


Par le Capitaine de Vaisseau (H) Etienne SCHLUMBERGER - Compagnon de la Libération

En juin 1940, seuls quatre sous-marins de 600T. armés avaient pu quitter Cherbourg pour rejoindre l'Angleterre : Minerve, Junon, Orion et Ondine. De ces quatre, seuls Minerve et Junon purent être, par la suite, réarmés par les FNFL (1). Le sous-marin mouilleur de mines Rubis, alors en opérations de minage, avait, quant à lui, décidé de continuer le combat. Le Surcouf, le plus grand sous-marin du moment, après avoir été saisi par les Anglais, avait, lui aussi, pu être réarmé par les FNFL. Enfin, le Narval s'était échappé de Bizerte pour rallier le combat à Malte, au cri de " Trahison sur toute la ligne ". 





Ainsi, au début, seuls des 78 sous-marins dont disposait la France en 1940, cinq ont continué le combat. Dans des conditions tragiques pour certains. C'est ainsi que l'officier en second de l'un des 600T. qui avait décidé de poursuivre le combat, fut si violemment pris à partie par son commandant, qu'il se suicida.

Hélas, de ces cinq, le Narval coula dans un champ de mines français, en opération devant la Tunisie. Le Surcouf, lui, fut coulé par erreur au voisinage des Antilles, par un avion américain.

Il en restait donc trois : Rubis, Minerve et Junon. Trois sur les 78 dont disposait au début la France. Et que sont devenus la majorité de ceux qui restaient ? Presque tous perdus, mais bien peu contre l'ennemi. Perdus soit contre les alliés, soit par sabordage, soit saisis par l'ennemi. Ainsi, à la fin de la guerre, nous n'avions plus qu'une quinzaine de sous-marins, y compris ceux cédés par l'Angleterre.

Et pourquoi, aujourd'hui, parler de ces trois ? C'est qu'ils étaient basés à Dundee, en Écosse, et opéraient essentiellement en Mer du Nord, sur les côtes nord de la Norvège occupée par l'Allemagne. Sans vraiment parler d'opérations spéciales, leurs actions peuvent être considérées, dans une certaine mesure, comme clandestines. En effet, les zones d'action se trouvaient surtout dans Findraled, le passage maritime longeant la côte entre celle-ci et le chapelet des îles et îlots extérieurs. Les ouvertures vers la mer étaient protégées par des champs de mines, et l'ennemi s'imaginait mal que l'on puisse s'y aventurer. En fait, il était possible de passer à une bonne profondeur sous le niveau des mines. Celles-ci se situaient à environ trois mètres sous l'eau, et en passant à une profondeur de 30 m, les risques étaient réduits, sauf le désagrément d'entendre, parfois, un orin de mine frotter le long de la coque. C'est le Rubis qui, avec ses mines mouillées dans ce passage, a obtenu de magnifiques succès.

Minerve et Junon étaient des sous-marins français classiques de 600T. Ils avaient deux avantages pour les opérations difficiles à l'intérieur des fjords : ils étaient relativement petits et maniables et, surtout, contrairement aux sous-marins semblables des classes U et V, ils avaient de larges ponts en bois sur lesquels il était facile de gonfler, charger et mettre à l'eau des canots pneumatiques. Mais ils avaient deux gros défauts : leur système électrique était délicat et il arrivait, au grenadage que les disjoncteurs sautent ainsi que des rivets de la coque épaisse. Mais leurs deux premières qualités les désignaient tout particulièrement pour des opérations spéciales au fond des fjords.

Aussi ces deux bateaux purent-ils accomplir un certain nombre de missions, soit de liaison avec la résistance norvégienne par débarquement d'agents, de matériel radio ou de guerre, de ravitaillement, soit de destructions à terre.


A mon sens, l'une des très significatives, puisque j'y étais, fut la destruction de la centrale hydraulique de Glomfjord. Cette importante centrale, située au sud de Bodö, au nord de la Norvège, alimentait une grosse usine produisant de l'aluminium, pour l'industrie aéronautique allemande, et une unité d'électrolyse qui pouvait fournir de l'eau lourde. Elle était, en fin 1942, en cours d'extension, supervisée et en grande partie fournie par l'entreprise suisse, Brown-Boveri.

Les Anglais estimaient que cette centrale avait une grande importance pour l'industrie de guerre allemande et pensaient que sa mise hors service était essentielle.

Située au fond d'un fjord, (le Glomfjord) au pied d'une falaise, son bombardement en piqué était donc impossible. Une opération terrestre risquait alors d'être nécessaire.

Aussi, plutôt qu'un débarquement de vive force très risqué, le commandement britannique préféra une tentative d'opération spéciale. Le sous-marin français libre Minerve fut d'abord choisi, mais en raison de ses avaries, le sous-marin Junon fut rappelé de patrouille pour le remplacer.

La Junon embarque donc, à Lervich, dans les îles Shetland, outre un officier norvégien Munthe Kaas connaissant bien la région, un commando de 12 hommes composé de deux Norvégiens, deux officiers, un Canadien et un Anglais, et huit Anglais du n° 2 Commando de la Spécial Service Brigade.

Ce type d'opération ne pouvait se faire qu'au printemps ou en automne. En effet, le GPS n'existait pas et, en dehors des vues de terre, la position ne pouvait s'obtenir que par le sextant. Pour cela, il fallait pouvoir voir et l'horizon et les astres. De jour, pas question de monter en surface : trop dangereux. De nuit : pas d'horizon. Donc observations uniquement tôt le matin ou tard le soir.




Premier exercice de débarquement de nuit le 9 septembre 1942 à Boatsroom Voi, un fjord au nord des Lerwich. Posés de jour sur le fond, peu profond, nous pouvons sortir l'antenne périscopique et écouter des musiques de paix qui paraissent si lointaines comme " I am dreaming of a white Christmas " ou " The bells are ringing for me and my gal ". Ces hommes pouvaient-ils prévoir que sur les douze, huit ne reviendraient pas.

Le débarquement au fond du Glomfjord était trop risqué, sinon impossible. Aussi, un fjord un peu plus au sud fut-il choisi. Le débarquement se déroule sans problème, excepté quelques difficultés de gonflage du dinghy pneumatique (lowboat).




Le sous-marin ne s'était pas risqué jusque tout au fond du fjord ; après être rentré le jour au périscope et s'être posé au fond par environ 30 m, vers 13h30, il fait surface vers 21h30. Le commando de 12 hommes. 2 Norvégiens et 10 commandos, pagaye sur environ 3 km pour atteindre le fond du fjord vers 3 h du matin, le 16 septembre. RAS.

Après avoir enterré dinghy et brassières de sauvetage et s'être harnachés de tout leur matériel, les hommes s'éloignent de 5 km avant de prendre du repos. Leur seule crainte, en passant près d'une ferme, un chien qui aboie ; mais pas de chien. Repartis au petit jour, ils arrivent au pied de la montagne pour un bivouac de nuit. L'ascension de la montagne, très raide, présente quelques difficultés, spécialement du fait de plaques de glace glissantes. Arrivés au sommet d'où ils aperçoivent les conduites forcées de la centrale, ils s'arrêtent pour la nuit. Après avoir repris leur progression, ils arrivent en vue de la centrale.

Le sous-marin Junon de type Daphné est mis en service en décembre 1966


A partir du 20, la progression ne doit plus se faire que de nuit avec le risque de faire rouler des gros cailloux occasionnant des bruits suspects. Après avoir analysé les meilleures roules de retraite, le commando descend dans la vallée, dans la nuit. Ils se répartissent la tâche, certains devant dynamiter les conduites forcées, d'autres les alternateurs, en utilisant des détonateurs à retard de 10 minutes.

La destruction elle-même se déroule bien. L'usine étant en cours d'extension, les hommes peuvent ouvrir une fermeture provisoire et pénétrer dans la centrale sans être détectés. Après avoir descendu un Allemand, ils placent leurs charges mais prennent du temps pour évacuer des familles norvégiennes vivant dans les bâtiments. Pendant ce temps, l'alerte est donnée à un détachement allemand situé à une certaine distance.

Entre plusieurs routes possibles de retraite vers la Suède, il a été décidé de remonter le torrent descendant vers le fond du Glomfjord, de le traverser par un pont dans la montagne, d'escalader cette montagne puis de se diriger vers l'est pour rejoindre la frontière.



Aussi, après avoir accompli leur tâche, les commandos se regroupent et prennent le chemin de la montagne. Dix minutes après, l'énorme bruit des charges qui explosent, détruisant les alternateurs de la centrale et les conduites forcées. De gigantesques quantités d'eau se déversent, entraînant avec elles terres et rochers qui envahissent la salle des alternateurs. Malheureusement, les difficultés du terrain n'avaient pas permis aux commandos d'atteindre les vannes du contrôle de la sortie des lacs réservoirs, ce qui permit aux Allemands de contrôler, assez vite, les avalanches d'eau.

Remontant la vallée du torrent, les commandos tombent sur un poste allemand et, dans un échange de tirs, l'un des deux Norvégiens est blessé et fait prisonnier. Il a 22 ans, il était plein de projets d'avenir. Emmené à l'hôpital du Bodö, il a prétendu être Anglais, puis voyant venir sa fin, reconnaît être Norvégien. Il espérait tant de la vie avant de mourir, il demande qu'on le couvre du drapeau norvégien, les Allemands refusent. Puis le commando, avec le seul Norvégien restant, parlant la langue du pays, poursuit son repli et recherche le pont. Apparemment, les cartes ou les compas dont ils sont munis posent des problèmes.




Ne trouvant pas le pont, le Norvégien traverse le torrent à la nage, suivi de trois hommes. Tous les quatre, après des journées de privation, de froid et de risques, arrivent à rejoindre la Suède. Le Norvégien et un Anglais d'une part, les deux autres individuellement.

Quant au reste de l'équipe, deux officiers et cinq commandos, après s'être perdus dans la montagne, il est rejoint par les patrouilles allemandes et fait prisonnier. Envoyés en Allemagne, ces prisonniers y seront fusillés, malgré leur uniforme.

Nous apprendrons peu après notre retour à Dundee le succès de la destruction de la centrale.

Mais l'histoire n'est pas tout à fait finie puisque la Junon, au cours d'une patrouille ultérieure (du 13 novembre au 3 décembre 1942) débarquera du matériel radio et des armes pour la résistance norvégienne, dans un fjord de l'île de Scnya, le Mefjord au Nord des îles Lofoten, pas très loin du Tromsö. 

Le mauvais temps étant arrivé au cours de cette opération, deux de nos hommes chargés du débarquement devront être abandonnés à terre. Par la résistance norvégienne, nous saurons qu'ils sont saufs et à l'abri. Il sera donc décidé d'aller les rechercher et le sous-marin " Uredd " norvégien de la même flottille que nous, la 9"1 Submarine Flotilla, sera chargé de l'opération. Il embarquera Sverne Granlund, le seul rescapé norvégien du Glomfjord. Puis l'Uredd disparaît.




Longtemps après la fin de la guerre, son épave, éventrée par une mine, sera retrouvée pas loin du débouché de Glomfjord. Considérée comme un monument national, cette épave restera le cercueil de ces braves norvégiens. Un petit monument à terre, en rappelle le souvenir. 

Par la suite, la Junon récupérera nos deux marins.

Quant à Munlhe Kaas, l'officier norvégien qui nous conseillait, il revint avec nous à Dundee et, après d'autres opérations risquées, survécut à la guerre.


Revenant de cette première opération à Mefjord, la Junon était bien fatiguée du point de vue du matériel. Nous espérions que, bientôt, la flotte française viendrait enfin à nos côtés. Arrivant à Dundee, nous apprenons, hélas, qu'elle s'est sabordée (2). Triste fin !

Mais si la victoire en chantant ne nous a pas ouvert la carrière, elle était tout de même au rendez-vous final.



(1) Forces navales françaises libres

(2) Le 27 novembre 1942, la flotte française se saborde à Toulon


le sous-marin Junon est retiré du service le 8 octobre 1996


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