Wikipedia réécrit l’Histoire
14 novembre 2018
Reçu ce matin cet article d'Hérodote...
De quoi se poser des questions...
Wikipedia réécrit l’Histoire et nous annonce 18 millions de morts en 14-18 !
À l’occasion du centenaire de l’Armistice, la plupart de nos journaux ont titré sur les « dix-huit » ou « vingt millions de morts » de la Grande Guerre (1914-1918). C’est un scoop !
Jusqu’à ces dernières années, tous les historiens et tous les manuels (image ci-contre) s’accordaient sur une fourchette de huit à dix millions de morts dus à la Grande Guerre, en très grande majorité des soldats.
D’où vient donc cette soudaine inflation, cent ans après les événements ? Que vaut-elle ?
Nous avons remonté le fil de l’information et il nous ramène à une source unique : wikipedia ! Triste démonstration de l’absence d’esprit critique et de culture chez beaucoup de nos journalistes qui vont bêtement chercher l’information sur le web, au plus vite, sans se poser la question de sa pertinence... Les mêmes dénoncent ensuite les bobards (« fake-news » en globish) qui sont supposés polluer la Toile !
Dans le domaine de l’Histoire, à notre connaissance, c’est la première fois que wikipedia devient la référence scientifique de nos journalistes et décideurs. Les universitaires n’ont plus qu’à aller se coucher. Et le gouvernement va réaliser de belles économies sur l’enseignement supérieur et la Culture car wikipedia va remplacer ces vieilleries sur des sujets aussi sensibles que les guerres mondiales, les génocides, les crises économiques etc.
Penchons-nous donc sur la nouvelle Bible de nos élites. Que nous dit wikipedia ? Considérons la page anglophone consacrée aux pertes de la Première Guerre mondiale et qui a servi de modèle à la version francophone. Elle présente pays par pays les pertes militaires et d’autre part les pertes civiles, réparties entre les victimes directes de la guerre (exécutions sommaires…) et les victimes indirectes, mortes d’inanition ou de maladie (à l’exclusion de la grippe espagnole).
Les pertes militaires de la guerre
En ce qui concerne les pertes militaires, nous avons depuis longtemps une fourchette admise par tous les spécialistes, avec un total sans doute plus proche de dix millions que de huit. C’est énorme si l’on songe qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de malheureux déchiquetés par les éclats d’obus. On est loin de la mort plus ou moins « propre » des guerres antérieures : un coup d’épée ou une balle au cœur.
Dans ce domaine, les estimations de wikipedia restent plausibles : 8,5 à 10,6 millions de morts.
Les civils victimes des militaires
Ensuite viennent les civils tués par les militaires. Ce sont en Europe occidentale les Belges, Français du nord ou encore Alsaciens exécutés sommairement par les Allemands, qui avaient la phobie des francs-tireurs (« snipers » en globish). Ce sont aussi les Serbes et également les Galiciens exécutés et massacrés sous prétexte de rébellion par les troupes austro-hongroises en assez grand nombre (sans doute plusieurs dizaines de milliers).
Tout compris, wikipedia arrive ici à un total de 2 250 099 victimes mais c’est en incluant 1,5 millions d’Arméniens, Grecs Pontiques et Assyro-Chaldéens victimes de la politique génocidaire du gouvernement ottoman.
La précision des chiffres à l’unité près apparaît ici ridicule, le nombre de victimes du génocide arménien n’étant connu qu’à quelques centaines de milliers près.
Mais il y a plus grave : intégrer ces victimes dans les crimes de la Grande Guerre revient à assimiler le génocide arménien à un gigantesque crime de guerre. C’est très précisément adopter le discours officiel du gouvernement turc actuel qui ne nie pas les massacres d’Arméniens ainsi que de Grecs Pontiques et d’Assyro-Chaldéens, mais les présente comme une tragique conséquence de la guerre.
La démarche globalisante de wikipedia (et de tous les journalistes et commentateurs qui reprennent ses chiffres) est clairement de nature « révisionniste » : elle dénie aux massacres d’Asie mineure l’appellation de génocide et les ramène à un crime de guerre.
Dans les faits, ces massacres et ce génocide n’ont rien à voir avec la Grande Guerre. Déjà, en 1894-1896, le sultan Abdul-Hamid II n’avait pas eu besoin du prétexte d’une guerre pour entreprendre de massacrer 200 000 à 250 000 Arméniens. Cet exploit lui avait valu d’être surnommé le « Grand Saigneur ».
Si la Première Guerre mondiale avait pu être miraculeusement empêchée, il est probable que le gouvernement ultra-nationaliste des Jeunes-Turcs, au pouvoir à Constantinople à partir de 1908, aurait malgré tout achevé le travail du sultan et procédé au massacre des dernières minorités d’Asie mineure…
On peut d’ailleurs penser la même chose de la guerre civile en Russie (plusieurs millions de morts entre 1918 et 1922) : le régime tsariste était à bout de souffle et l’on peut penser qu’il serait tombé à brève échéance même sans la Grande Guerre, laissant la place à un affrontement entre démocrates et léninistes.
Même chose aussi avec la grippe espagnole. Celle-ci est apparue en 1918 en Asie, assez loin du théâtre des opérations. Elle a causé au moins vingt millions de morts en 1918-1920 dont les trois-quarts en Asie. Avec ou sans la Grande Guerre, l’humanité n’y aurait sans doute pas échappé.
Les civils victimes de tout et de rien
Reste le plus gros morceau selon wikipedia : les civils victimes pendant la Grande Guerre de malnutrition et de maladie.
Sauf en Russie pendant la guerre civile, en 1918-1922, on ne voit pas de signes manifestes de famine, par exemple des enfants décharnés et à l’agonie, livrés à la rue. On ne voit pas non plus défiler dans les rues des tombereaux de cadavres morts de maladie. La grippe espagnole elle-même, qui va frapper le monde en 1918-1919, est apparue en Extrême-Orient, dans une région épargnée par la Grande Guerre (sachons que les Américains qualifient celle-ci d’European War). C’est en Inde et en Chine que l’épidémie a fait de loin le plus grand nombre de victimes.
Pour le reste, rien de spectaculaire. D’où viennent alors les chiffres cataclysmiques de wikipedia : 5 à 6 millions de civils victimes de malnutrition, maladies et maux divers, dont 300 000 en France, près de 600 000 en Italie, environ 700 000 en Allemagne et 500 000 en Autriche-Hongrie ?...
Ils viennent pour l’essentiel d’un magicien, pardon d’un éminent statisticien qui a accompli un travail scrupuleux et méritant sur les « surcroîts de mortalité » pendant les années de guerre. L. Hersch a publié ses résultats dans une revue italienne de statistiques, Metron, en 1927.
Le chercheur s’est fondé sur les tables de mortalité de la deuxième décennie du siècle. Il s’est demandé, à partir des tables de mortalité des années d’avant-guerre, ce qu’aurait été la mortalité de la population civile dans les années de guerre en prenant bien sûr en compte les changements dans sa composition (départ des jeunes gens pour le front). De la différence entre la mortalité observée et la mortalité théorique, que l’on aurait eue en prolongeant la tendance antérieure, il a déduit une surmortalité due aux circonstances de la guerre.
Les mêmes méthodes ont été reprises par des statisticiens soviétiques cités par wikipedia pour analyser les pertes de la Russie et de ses voisins pendant la Grande Guerre et aussi la guerre civile qui a suivi.
Si ces travaux n’ont pas été repris par les historiens pendant 90 ans, jusqu’à ce qu’un plumitif de wikipedia mette la main dessus, c’est, en premier lieu, qu’ils demeurent imprécis et sujets à caution.
En deuxième lieu, il est très difficile de définir les causes de ces surmortalités : viennent-elles de la guerre ou plus simplement de la désorganisation des circuits économiques et sociaux ? La guerre a pu mettre à jour cette désorganisation dans les États les plus fragiles, où s’observent les surmortalités les plus importantes : Hongrie, Roumanie, Russie… Mais semblable désorganisation peut aussi survenir en période de paix. Ainsi pourrait-on mesurer statistiquement les effets de la crise de 2008 ou de la mondialisation néolibérale : suicides de paysans en France, manque de soins dans les hôpitaux grecs, espérance de vie en berne dans les middle class américaines, sans compter la guerre sans nom comme celle que mènent les gangs en Amérique latine (plusieurs centaines de milliers de morts par an).
En dernier lieu enfin, notons que le surcroît de mortalité pendant la Grande Guerre désigne essentiellement des personnes âgées, victimes d’une alimentation et de soins dégradés, qui n’ont pas eu la capacité de prolonger leur vieillesse. Peut-on décemment les mettre sur le même plan qu’un soldat tué à vingt ans ?...
La même question se pose pour le décompte des blessés de guerre : un soldat qui revient de la guerre la « gueule cassée » ou amputé de ses jambes est-il à mettre sur le même plan que son copain plus chanceux qui s’en tire avec une cicatrice au bras ? On comprend que les décomptes des historiens sérieux s’en tiennent aux soldats et aux civils victimes de morts violentes, en laissant de côté les blessés et les énigmatiques « surmortalités ». Il n’est pas utile d’en rajouter pour nous convaincre de l’horreur de la guerre.
André Larané
L'historien Antoine Prost dénonce la légèreté de wikipedia
Laissons la conclusion à l’historien Antoine Prost : « En France, même si la grippe espagnole était considérée comme une catastrophe liée à la guerre, 300 000 ou 600 000 morts civils en France seraient des chiffres ahurissants. L'estimation donnée par wikipedia de 408 000 morts de la grippe espagnole en France est une erreur de calcul évidente : dans le territoire inoccupé, le nombre total de morts civiles était de 583 000, 722 000 et 617 000 pour les années 1917, 1918 et 1919 respectivement. Ainsi, le surplus de mortalité civile de 1918-1919, dû à la grippe, ne peut dépasser 175 000 personnes. Ces statistiques ne prouvent que la volonté de leur auteur de présenter la guerre comme un plus grand massacre qu’il ne l’a été. Le seul point certain, c’est qu’il existe un grand contraste entre les pays où des centaines de milliers de personnes sont morts de maladie et de faim, comme la Russie, les Balkans, les empires central et ottoman, et ceux où le gouvernement a réussi à maintenir un approvisionnement minimal, de la nourriture, du logement et des soins médicaux. » (Encyclopédie 1914-1918 en ligne).
Wikipedia réécrit l’Histoire et nous annonce 18 millions de morts en 14-18 !
À l’occasion du centenaire de l’Armistice, la plupart de nos journaux ont titré sur les « dix-huit » ou « vingt millions de morts » de la Grande Guerre (1914-1918). C’est un scoop !
Jusqu’à ces dernières années, tous les historiens et tous les manuels (image ci-contre) s’accordaient sur une fourchette de huit à dix millions de morts dus à la Grande Guerre, en très grande majorité des soldats.
D’où vient donc cette soudaine inflation, cent ans après les événements ? Que vaut-elle ?
Nous avons remonté le fil de l’information et il nous ramène à une source unique : wikipedia ! Triste démonstration de l’absence d’esprit critique et de culture chez beaucoup de nos journalistes qui vont bêtement chercher l’information sur le web, au plus vite, sans se poser la question de sa pertinence... Les mêmes dénoncent ensuite les bobards (« fake-news » en globish) qui sont supposés polluer la Toile !
Dans le domaine de l’Histoire, à notre connaissance, c’est la première fois que wikipedia devient la référence scientifique de nos journalistes et décideurs. Les universitaires n’ont plus qu’à aller se coucher. Et le gouvernement va réaliser de belles économies sur l’enseignement supérieur et la Culture car wikipedia va remplacer ces vieilleries sur des sujets aussi sensibles que les guerres mondiales, les génocides, les crises économiques etc.
Penchons-nous donc sur la nouvelle Bible de nos élites. Que nous dit wikipedia ? Considérons la page anglophone consacrée aux pertes de la Première Guerre mondiale et qui a servi de modèle à la version francophone. Elle présente pays par pays les pertes militaires et d’autre part les pertes civiles, réparties entre les victimes directes de la guerre (exécutions sommaires…) et les victimes indirectes, mortes d’inanition ou de maladie (à l’exclusion de la grippe espagnole).
Les pertes militaires de la guerre
En ce qui concerne les pertes militaires, nous avons depuis longtemps une fourchette admise par tous les spécialistes, avec un total sans doute plus proche de dix millions que de huit. C’est énorme si l’on songe qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de malheureux déchiquetés par les éclats d’obus. On est loin de la mort plus ou moins « propre » des guerres antérieures : un coup d’épée ou une balle au cœur.
Dans ce domaine, les estimations de wikipedia restent plausibles : 8,5 à 10,6 millions de morts.
Les civils victimes des militaires
Ensuite viennent les civils tués par les militaires. Ce sont en Europe occidentale les Belges, Français du nord ou encore Alsaciens exécutés sommairement par les Allemands, qui avaient la phobie des francs-tireurs (« snipers » en globish). Ce sont aussi les Serbes et également les Galiciens exécutés et massacrés sous prétexte de rébellion par les troupes austro-hongroises en assez grand nombre (sans doute plusieurs dizaines de milliers).
Tout compris, wikipedia arrive ici à un total de 2 250 099 victimes mais c’est en incluant 1,5 millions d’Arméniens, Grecs Pontiques et Assyro-Chaldéens victimes de la politique génocidaire du gouvernement ottoman.
La précision des chiffres à l’unité près apparaît ici ridicule, le nombre de victimes du génocide arménien n’étant connu qu’à quelques centaines de milliers près.
Mais il y a plus grave : intégrer ces victimes dans les crimes de la Grande Guerre revient à assimiler le génocide arménien à un gigantesque crime de guerre. C’est très précisément adopter le discours officiel du gouvernement turc actuel qui ne nie pas les massacres d’Arméniens ainsi que de Grecs Pontiques et d’Assyro-Chaldéens, mais les présente comme une tragique conséquence de la guerre.
La démarche globalisante de wikipedia (et de tous les journalistes et commentateurs qui reprennent ses chiffres) est clairement de nature « révisionniste » : elle dénie aux massacres d’Asie mineure l’appellation de génocide et les ramène à un crime de guerre.
Dans les faits, ces massacres et ce génocide n’ont rien à voir avec la Grande Guerre. Déjà, en 1894-1896, le sultan Abdul-Hamid II n’avait pas eu besoin du prétexte d’une guerre pour entreprendre de massacrer 200 000 à 250 000 Arméniens. Cet exploit lui avait valu d’être surnommé le « Grand Saigneur ».
Si la Première Guerre mondiale avait pu être miraculeusement empêchée, il est probable que le gouvernement ultra-nationaliste des Jeunes-Turcs, au pouvoir à Constantinople à partir de 1908, aurait malgré tout achevé le travail du sultan et procédé au massacre des dernières minorités d’Asie mineure…
On peut d’ailleurs penser la même chose de la guerre civile en Russie (plusieurs millions de morts entre 1918 et 1922) : le régime tsariste était à bout de souffle et l’on peut penser qu’il serait tombé à brève échéance même sans la Grande Guerre, laissant la place à un affrontement entre démocrates et léninistes.
Même chose aussi avec la grippe espagnole. Celle-ci est apparue en 1918 en Asie, assez loin du théâtre des opérations. Elle a causé au moins vingt millions de morts en 1918-1920 dont les trois-quarts en Asie. Avec ou sans la Grande Guerre, l’humanité n’y aurait sans doute pas échappé.
Les civils victimes de tout et de rien
Reste le plus gros morceau selon wikipedia : les civils victimes pendant la Grande Guerre de malnutrition et de maladie.
Sauf en Russie pendant la guerre civile, en 1918-1922, on ne voit pas de signes manifestes de famine, par exemple des enfants décharnés et à l’agonie, livrés à la rue. On ne voit pas non plus défiler dans les rues des tombereaux de cadavres morts de maladie. La grippe espagnole elle-même, qui va frapper le monde en 1918-1919, est apparue en Extrême-Orient, dans une région épargnée par la Grande Guerre (sachons que les Américains qualifient celle-ci d’European War). C’est en Inde et en Chine que l’épidémie a fait de loin le plus grand nombre de victimes.
Pour le reste, rien de spectaculaire. D’où viennent alors les chiffres cataclysmiques de wikipedia : 5 à 6 millions de civils victimes de malnutrition, maladies et maux divers, dont 300 000 en France, près de 600 000 en Italie, environ 700 000 en Allemagne et 500 000 en Autriche-Hongrie ?...
Ils viennent pour l’essentiel d’un magicien, pardon d’un éminent statisticien qui a accompli un travail scrupuleux et méritant sur les « surcroîts de mortalité » pendant les années de guerre. L. Hersch a publié ses résultats dans une revue italienne de statistiques, Metron, en 1927.
Le chercheur s’est fondé sur les tables de mortalité de la deuxième décennie du siècle. Il s’est demandé, à partir des tables de mortalité des années d’avant-guerre, ce qu’aurait été la mortalité de la population civile dans les années de guerre en prenant bien sûr en compte les changements dans sa composition (départ des jeunes gens pour le front). De la différence entre la mortalité observée et la mortalité théorique, que l’on aurait eue en prolongeant la tendance antérieure, il a déduit une surmortalité due aux circonstances de la guerre.
Les mêmes méthodes ont été reprises par des statisticiens soviétiques cités par wikipedia pour analyser les pertes de la Russie et de ses voisins pendant la Grande Guerre et aussi la guerre civile qui a suivi.
Si ces travaux n’ont pas été repris par les historiens pendant 90 ans, jusqu’à ce qu’un plumitif de wikipedia mette la main dessus, c’est, en premier lieu, qu’ils demeurent imprécis et sujets à caution.
En deuxième lieu, il est très difficile de définir les causes de ces surmortalités : viennent-elles de la guerre ou plus simplement de la désorganisation des circuits économiques et sociaux ? La guerre a pu mettre à jour cette désorganisation dans les États les plus fragiles, où s’observent les surmortalités les plus importantes : Hongrie, Roumanie, Russie… Mais semblable désorganisation peut aussi survenir en période de paix. Ainsi pourrait-on mesurer statistiquement les effets de la crise de 2008 ou de la mondialisation néolibérale : suicides de paysans en France, manque de soins dans les hôpitaux grecs, espérance de vie en berne dans les middle class américaines, sans compter la guerre sans nom comme celle que mènent les gangs en Amérique latine (plusieurs centaines de milliers de morts par an).
En dernier lieu enfin, notons que le surcroît de mortalité pendant la Grande Guerre désigne essentiellement des personnes âgées, victimes d’une alimentation et de soins dégradés, qui n’ont pas eu la capacité de prolonger leur vieillesse. Peut-on décemment les mettre sur le même plan qu’un soldat tué à vingt ans ?...
La même question se pose pour le décompte des blessés de guerre : un soldat qui revient de la guerre la « gueule cassée » ou amputé de ses jambes est-il à mettre sur le même plan que son copain plus chanceux qui s’en tire avec une cicatrice au bras ? On comprend que les décomptes des historiens sérieux s’en tiennent aux soldats et aux civils victimes de morts violentes, en laissant de côté les blessés et les énigmatiques « surmortalités ». Il n’est pas utile d’en rajouter pour nous convaincre de l’horreur de la guerre.
André Larané
L'historien Antoine Prost dénonce la légèreté de wikipedia
Laissons la conclusion à l’historien Antoine Prost : « En France, même si la grippe espagnole était considérée comme une catastrophe liée à la guerre, 300 000 ou 600 000 morts civils en France seraient des chiffres ahurissants. L'estimation donnée par wikipedia de 408 000 morts de la grippe espagnole en France est une erreur de calcul évidente : dans le territoire inoccupé, le nombre total de morts civiles était de 583 000, 722 000 et 617 000 pour les années 1917, 1918 et 1919 respectivement. Ainsi, le surplus de mortalité civile de 1918-1919, dû à la grippe, ne peut dépasser 175 000 personnes. Ces statistiques ne prouvent que la volonté de leur auteur de présenter la guerre comme un plus grand massacre qu’il ne l’a été. Le seul point certain, c’est qu’il existe un grand contraste entre les pays où des centaines de milliers de personnes sont morts de maladie et de faim, comme la Russie, les Balkans, les empires central et ottoman, et ceux où le gouvernement a réussi à maintenir un approvisionnement minimal, de la nourriture, du logement et des soins médicaux. » (Encyclopédie 1914-1918 en ligne).