Les tirailleurs sénégalais et les campagnes au Maroc
1907 - 1908
On a parlé du débarquement au Maroc en 1907, du naufrage de la Nive, il faut parler aujourd'hui du débarquement des tirailleurs et de leurs femmes en 1908. Donnons la parole au lieutenant-colonel Mangin sur les conditions d'hébergement des tirailleurs. C'est édifiant!Il faut éviter également de les mettre dans les garnisons normales des tirailleurs algériens, qui, noua le rapport du campement, du couchage, de l'ordinaire, sont traites exactement comme les troupes européennes, et qui ont gardé les brillants uniformes du second Empire.
Un tirailleur sénégalais (Fez, 1913), cliché du fonds photographique Albert Kahn. |
Entre 1908 et 1914, les tirailleurs sénégalais sont engagés dans la Campagne du Maroc et au Maghreb, conformément au projet de Charles Mangin qui est, selon la « manœuvre du perroquet », de soulager le 19e corps d'armée qui peut dès lors être envoyé au front de l'Ouest.
Malgré la fécondité exceptionnelle de son sol, qui avait attiré beaucoup d'Européens avant la fin du XIXe siècle, malgré la bonté de son climat et la facilité relative de ses rivages, la Chaouïa n'était guère plus connue que le reste du Maroc, avant la publication des études approfondies du docteur Weissgerber et le relevé d'itinéraires du commandant Larras dans ces dernières années.
A ces deux explorateurs sont dues les cartes utilisées au corps de débarquement pour la direction des opérations militaires.
Nouveau et dernier renforcement.
Afin d'assurer la relève des unités fatiguées, la continuité des efforts, l'établissement des garnisons nouvelles, le corps de débarquement était grossi en fin mars de 4.000 hommes et 640 animaux, ce qui allait porter l'effectif total à 14.000 soldats, 4.650 chevaux ou mulets, 16 canons de 75, 6 pièces de 80 de montagne et 20 mitrailleuses. Les renforts comprenaient : Infanterie : 5 bataillons empruntés au 4e zouaves, aux 3e et 4e tirailleurs et 2 bataillons de tirailleurs sénégalais.
Cavalerie ; 1 escadron du 6e chasseurs d'Afrique, et 4 sections de mitrailleuses de cavalerie, qualifiées de « mitrailleuses galopantes ».
Artillerie : 1 batterie d'artillerie de 75mm.
Des renforts successifs ont porté à 3 le nombre des compagnies du génie, à 3 celui des compagnies du train des équipages.
Le service de santé a installé, à Médiouna et à Ber Rechid, des infirmeries-ambulances, et a reçu des voitures légères pour blessés, qui remplaceront désormais les arabas pour les transports d'évacuation, sur des pistes maintenant aplanies.
Le régiment sénégalais gardera tout d'abord les gîtes d'étapes.
« Madame tirailleur » ou « Madame Sénégal » est le nom donné à l'épouse d'un tirailleur d'Afrique noire ou d'Afrique du Nord, autorisée à suivre son mari au cantonnement et parfois en campagne, à la fin du siècle et au début du siècle.
Le rôle de ces épouses, accompagnées de leurs enfants, permettait aux tirailleurs de n'être pas dépaysés et de bénéficier de l'environnement familial. Elles participaient aussi à la logistique et montaient parfois au front approvisionner les combattants en munitions et rechargeaient leurs armes. Elles étaient parfois tuées au combat ; plusieurs d'entre elles ont été citées à l'ordre du régiment ou même à l'ordre de l'Afrique occidentale.
Pour le capitaine Marceau, les femmes ne rechignent pas au transport des charges et sont des ménagères économes, sachant préparer les repas, assurer le blanchiment, avec efficacité et en soulageant les hommes des tâches matérielles. Selon lui, ce système est plus rentable que les fourgons et l'intendance classiques4. Elles ne se plaignent pas et sont aussi courageuses que leurs maris4. Elle n'occasionnent pas de surcoût, vivant sur la ration de leur mari5.
Le général Mangin raconte l'action des femmes lors de ce combat de Talmeust le 14 juin 1908 : ce jour-là, après la défection des conducteurs du convoi qui refusent d'approvisionner les combattants en munitions, les femmes s'en chargent malgré les dangers. Une femme est tuée, deux autres blessées ; toutes les trois sont citées à l’ordre des troupes de l'Afrique occidentale
Les femmes accompagnatrices sont autorisées jusqu'en 1913. Lorsque les troupes coloniales débarquent à Marseille pour participer au défilé du 14 juillet de cette année-là, les tirailleurs sénégalais sont parfois encore accompagnés de « Madame tirailleur » et de leurs enfants
« En garnison, ce lui sera une ménagère économe, propre et attentionnée, une mère parfaite pour ses enfants. Avec la maigre solde du mari (en 1911 : tirailleur de 2e classe, 60 centimes ; de 1re classe, 70 centimes ; caporal, 98 centimes ; sergent, 1 F 45 ; adjudant, 3 F 15 ; les hommes de troupe ont en outre le système de la masse individuelle avec une première mise de 75 francs) et la ration journalière (riz, 500 grammes ; viande, 400 grammes ; sucre, 21 grammes ; café, 16 grammes ; sel, 20 grammes ; huile, 20 grammes ; bois à brûler, 1 kg 250), elle saura faire vivre le ménage en mettant même de l’argent de côté. La prime journalière de 15 centimes de la masse individuelle constituera, en outre, pour la communauté, une réserve trouvée à la libération, tout en entretenant en parfait état la garde-robe maritale.
De la cuisine sénégalaise
En colonne, "Madame Tirailleur" sera l’aide constante du mari. A condition que le nombre de ces dames soit assez restreint pour ne pas être encombrant, elles remplacent avantageusement, si l’on peut dire, les fourgons de toute nature, de toute destination, fût-ce même ce qui resta notre cauchemar en colonne : la voiture Lefèbvre. Sous le faix de calebasses pleines, devant lesquelles reculeraient des coltineurs de profession et où elles empilent hardes, provisions, etc. (c’est le soldat-tender), elles marchent au pas des colonnes ultra légères, sans se plaindre, braves comme leurs maris, malgré fatigue, privations et dangers. Ne les a-t-on pas vues, aux combats de l’Adrar, alors que les porteurs de munitions avaient fui, faire l’office de pourvoyeurs et ravitailler en cartouches les lignes décimées des maris qui faisaient le coup de feu ?A peine au bivouac, les voici qui s’empressent à la distribution, allument les feux, préparent et portent le repas à leurs hommes partis en avant-garde ; car, l’étape finie, les hommes, grâce à elles, n’ont point à s’occuper de ces mille nécessités fatigantes où s’absorbe le soldat européen. Ils continuent à être disponibles et le rendement en temps utile du tirailleur est, de ce fait, supérieur à celui de l’Européen. »
Général Mangin, La Force Noire, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1910
Le Gil Blas 19 mai 1911
Nos bons anthropophages.
Extrait d'un article du docteur Epaulard, médecin-chef de l'ambulance de Casablanca :
« Les Arabes ont une peur affreuse des anthropophages, et nos bataillons sénégalais en recèlent forcément. Je n'ai pas besoin de dire que le cannibalisme est inconnu au bataillon sénégalais. Cependant, lors de l'arrivée des premiers Sénégalais, en 1908, quelques tirailleurs demandèrent à un capitaine s'ils seraient autorisés à manger les Marocains qu'ils tueraient au combat.
« Cette anecdote, du reste authentique, colportée chez les Marocains, sema une épouvante qui n'est pas encore tout à fait apaisée parmi les musulmans, lesquels ont une horreur particulière d'être décapités, et, à plus forte raison, croqués après leur mort.
« Récemment, un brave garçon de noir, toujours souriant, et qui amusait volontiers de ses pitreries mes malades de l'ambulance, m'avouait que manger l'homme « y en a bon".
Il faut toute la patience et tous les efforts des missionnaires pour arriver à supprimer l'anthropophagie dans les endroits où elle est de tradition, mais ils sont à peu près les seuls qui soient arrivés dans ce sens à des résultats.
Espérons que « nos anthropophages ne seront pas plus autorisés à manger les Marocains qu'ils ne le sont à se manger entre eux.
https://www.rfi.fr/fr/tirailleurs/20140518-premiere-guerre-mondiale-madame-tirailleur
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