Île Saint-Paul TAAF Edgar Aubert de la Rue 1929 Langoustes
Formé à Nancy à l'institut de géologie appliquée il va effectuer de nombreux voyages dans ce qu'on appelait alors les colonies françaises. Il séjourne aux Kerguelen, Saint-Paul, Saint-Pierre et Miquelon, les Nouvelles-Hébrides.
Edgar (sans D) Aubert de la Rüe publie dans le petit journal du 6 décembre 1929 un article sur son passage à l'île Saint-Paul. Une description où l'on parle de langoustes, de sources thermales à 100° d'où les langoustes pourraient sortir toutes cuites...
Comme certains ont pu dire "il ne manque que les sources de mayonnaise..."
Une dépêche annonçait ces jours derniers que l'on était depuis deux mois sans nouvelles de l'île Saint-Paul, perdue dans lo sud de l'océan Indien. Certains ont pu se demander ce qu'il était advenu de cette île lointaine et pourquoi ses habitants ne donnaient plus signe de vie.
N'a-t-on pas été jusqu'à attribuer leur silence à la disparition de l'île sous les flots ? Que l'on se représente la position de cette possession française, l'une des moins importantes par son étendue, située dans hémisphère sud par 39" de latitude et 77° de longitude Est, c'est-à-dire un peu en dehors de la route que suivent les courriers et les cargos qui se rendent du Cap de Bonne Espérance en Australie et qui évitent au contraire les parages de Saint- Paul et de la Nouvelle Amsterdam, autre possession française située à quelque 50 milles plus au Nord.
La population de Saint-Paul se compose d'une vingtaine de Bretons et d'un nombre à peu près égal de Malgaches qui sont là pour le compte d'une société française installée depuis un peu plus d'un an dans l'île pour y entreprendre la pêche des langoustes et qui a même crée une petite usine pour la mise en conserve de ces crustacés qui se rencontrent en nombre vraiment incroyable le long des côtes et dans le lac que constitue le cratère de cet ancien volcan.
Deux navires seulement, l'Austral et l'Espérance, qui partent chaque été du Havre pour entreprendre une campagne de chasse aux éléphants de mer aux îles Kerguelen, situées à près de 1.500 kilomètres au Sud-Ouest de Saint-Paul, touchent maintenant cette dernière île d'une façon régulière, une première fois en octobre et vers mars avant de regagner l'Europe. C'est du reste ces deux navires qui déposèrent, voici un peu plus d'un an, les premiers pêcheurs de langoustes à Saint-Paul, ainsi que le matériel devant servir à la construction de leurs habitations et de leur usine. En dehors des navires se rendant aux Kerguelen, les pêcheurs n'ont pour tout moyen de communication avec le reste du monde qu'un poste do T. S. F.
Tout permet de supposer que le silence prolongé de l'île n'a d'autre cause qu'une avarie grave survenue à leur poste d'émission ou même à sa destruction par une des tempêtes qui sont si fréquentes et d'une rare violence sous ces latitudes. Il est peut-être intéressant de dire au jourd'hui quelques mots de cette colonie, si peu connue du public, et dont on ne parle presque jamais. L'île Saint-Paul, découverte en 1617 par le navigateur hollandais Harick Claez d'Hillegom, fut annexée une première fois par la France en 1843 ; 50.ans plus tard, en 1893, le gouvernement envoya l'aviso Eure reprendre officiellement possession de l'île et y installer un dépôt de vivres.
Enfin, en 1923, un décret rattacha cette possession, de même que les autres terres françaises australes, au gouvernement général de Madagascar. Quelques expéditions scientifiques touchèrent Saint-Paul au courant du siècle dernier. Ce fut tout d'abord l'expédition autrichienne de la Novara en 1857, puis la mission française dirigée par le commandant Mouchez qui avait choisi cette base pour l'observation du passage do Vénus devant lé Soleil en 1874. Le regretté Charles Vélain, attaché comme géologue, à cette dernière mission nous a laissé une étude très documentée sur la constitution de cette île. Une visite à l'île perdue me rendant aux îles Kerguelen il y a un an, j'ai eu la bonne fortune de passer par Saint-Paul et d'y séjourner une dizaine de jours. Cette île, d'origine exclusivement volcanique, mesure 5 kilomètres dans sa plus grande dimension, a une superficie totale de 7 kilomètres carrés. Le cratère qui occupé le centre de l'île forme un lac circulaire de 1.100 mètres de diamètre.
Par suite d'un éboulement de la partie, orientale du volcan, le cratère communique aujourd'hui avec la mer par une passe de 80 mètres, mais qui n'atteint pas 2 m. 50 de profondeur à marée haute, de sorte que les navires ne peuvent venir s'abriter dans le cratère ou l'on trouve des fonds de plusieurs dizaines de mètres Toute l'île disparaît sous une épaisse végétation, surtout formée de très hautes herbes, de joncs et de fougères. Les arbres font totalement défaut. La marche est partout très difficile, car ce tapis de verdure masque souvent de profondes fissures et des chaos de blocs de lave.
Le climat de Saint-Paul est tempéré; mais extrêmement humide. Pendant toute l'année, la température se maintient entre + 5° et + 15". Les pluies sont très fréquentes et la brume également. La neige y semble . à peu près complètement inconnue. Pendant la plus grande partie de l'année, l'île est balayée par des rafales de vent d'une très grande violence. Un insecte très répandu est le cancrelas, qui atteint des dimensions énormes. Si la vie à Saint-Paul n'est pas très lie, elle est malgré tout très possible, es pêcheurs peuvent y élever des porcs, des chèvres et des moutons. Les légumes y viennent assez bien. La chasse et la pêche à elles seules permettraient du reste un naufragé de ne pas mourir de faim. Les langoustes, si. nombreuses, peuvent se prendre à. la main. Les poissons se pêchent avec la plus grande facilité. Ils sont pour la plupart si voraces qu'il n'est pas nécessaire de mettre un appât au bout de sa ligne. J'ai pris là-bas des poissons pesant plus de 50 kilos, et quelle n'était pas ma surprise en trouvant parfois dans leur estomac des langoustes entières.
La nature prévoyante a fait jaillir en différente points de l'île, juste au' bord de la mer, de nombreuses sources thermales dont la température atteint souvent 100° et dans lesquelles on peut en quelques instants faire cuire le produit de sa pêche.
■—■ E. Aubert de La Rûe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire