04 juin 2021

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Ecoute, Ecoute 1916

Canonnière Surprise - Câblier Dacia - transport Kanguroo

Photo Horace J Greeley III
article dedicated to my friend Horace J Greeley III currently aboard the "Boulder". He tries to recover submarine cable in the North Sea


Ces derniers jours, on parle beaucoup d'écoutes téléphoniques, de câbles sous-marins, de NSA et de Danemark. Ce genre d'opérations n'est pas récent, il est même plus que centenaire.

Le Monde écrit à ce sujet :

René Descartes câblier France Télécom

En matière de renseignement, on a coutume de dire que les amitiés n’existent pas. La France et certains de ses plus proches alliés en ont fait l’expérience : plusieurs parlementaires et hauts fonctionnaires allemands, français, norvégiens et suédois ont été espionnés par la National Security Agency (NSA), l’agence de renseignement américaine chargée des écoutes électroniques, en détournant les systèmes de surveillance électronique danois.

 


DR se fait l’écho d’un rapport interne aux services de renseignement danois démontrant que la NSA a espionné des personnalités politiques européennes de premier plan en 2012 et en 2014, en utilisant les systèmes danois d’écoute de câbles sous-marins de télécommunications. Un accès dont l’agence américaine disposait en vertu d’accords avec le Danemark.

Déjà, lors de la Première Guerre mondiale, la préservation des câbles sous-marins entre les États-Unis et l’Europe représentait un enjeu important. Aujourd’hui, au fond des océans, se dessine un réseau de plus en plus dense de câbles sous-marins par lesquels transite 99 % du flux d’information mondial. Internet, le téléphone et la télévision numérique, vecteurs de développement, sont donc totalement dépendants de ce réseau au cœur d’enjeux stratégiques.


En 1914 

Le réseau des câbles sous-marins de l'État français est le plus important de tous les réseaux d'Etat.
Sa longueur totale était au début de la guerre de 12 .250 milles ou 22.700 kilomètres environ.


Ces câbles assurent les communications avec les îles du littoral, la Corse, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc et l'Afrique occidentale. Ils relient certaines colonies, soit entre elles, soit à la métropole par l'intermédiaire de réseaux étrangers. Enfin la Grande-Bretagne est en communication avec- la France par de nombreux câbles télégraphiques et téléphoniques.

Pour mémoire, les câbles français sur l'Amérique du Nord appartiennent à une société privée, la Compagnie française des câbles télégraphiques, subventionnée et contrôlée par l'Etat.

Câblier la Charente
L'entretien du réseau de l'Etat demanderait un personnel nombreux, une flotte respectable de navires spécialement aménagés, un stock important de câbles, de filin et de matériel.

Le Service des câbles sous-marins de l'Administration, dirigé par un ingénieur en chef, est loin de disposer de telles ressources, et pourtant, outre l'entretien courant, ce service est chargé de toutes les questions intéressant les câbles, des études techniques, du contrôle des opérations confiées à l'industrie. Il fabrique, dans son usine de la Seyne (Var), le câble pour les communications nouvelles et pour l'entretien. Enfin il assure le contrôle de la Compagnie française des câbles télégraphiques.

Câblier Emile-Baudot
La pénurie de personnel est telle qu'il est impossible d'armer simultanément les deux navires Émile-Baudot et Charente, que le service possède aujourd'hui.


Le matin du 5 août 1914, quelques heures seulement après la fin de l’ultimatum anglais, le navire câblier Telconia coupa les cinq câbles qui liaient l’Allemagne au monde extra-européen. Pendant les mois qui suivirent, les forces anglaises, françaises, et japonaises coupèrent les câbles allemands dans l’Atlantique sud et dans le Pacifique et capturèrent les émetteurs de TSF dans les colonies allemandes. À partir de 1915, l’Allemagne ne pouvait communiquer avec le monde extra-européen qu’avec la TSF depuis son territoire ou avec l’aide de pays neutres

Telconia


La politique anglaise de contrôle des câbles était devenue beaucoup plus subtile depuis 1899. Les Anglais censurèrent les télégrammes privés, commerciaux et de presse, mais n’essayèrent pas d’interrompre les communications des pays neutres comme la Suède, les Pays-Bas, ou les États-Unis. Au lieu d’imposer la censure sur les télégrammes diplomatiques ou d’exiger qu’ils soient rédigés en clair ou dans un code commercial connu, ils laissèrent passer les messages des gouvernements neutres en code, mais les observèrent soigneusement tout en apprenant à les déchiffrer. Afin de mettre à exécution ce plan de captation et de déchiffrement des télégrammes étrangers, ils recrutèrent les employés à la retraite des compagnies de câbles et les envoyèrent dans les stations de câbles autour du monde

Pendant ce temps, les services de renseignements de la marine anglaise purent intercepter et déchiffrer les messages allemands transmis par des voies détournées sur les câbles anglais. Le plus célèbre de ces télégrammes fut celui envoyé par le ministre allemand des Affaires étrangères Arthur Zimmermann à son ambassadeur de Mexico Heinrich von Eckhardt, lui ordonnant d’inciter le Mexique à attaquer les États-Unis. Ce télégramme fut envoyé dans le code diplomatique suédois superposé au code diplomatique allemand et passa de Stockholm à Buenos Aires par un câble anglais, et de Buenos Aires à Washington par un câble américain. L’idée saugrenue de Zimmermann fut connue des Américains quand les Anglais déchiffrèrent le message et l’envoyèrent au président Wilson, le persuadant de déclarer la guerre à l’Allemagne

En 1916, un navire câblier était en chantier pour le Post Office, et l'Administration, pour aboutir vite, commanda à Swanhunter et Richardson à Newcastle un câblier identique.

Mais le navire du Post Office devait travailler par petits fonds, et le câblier français par 3.000 mètres de fond. Le Service des câbles sous-marins dut modifier complètement le plan des emménagements, prévoir des cales à bouées, des puits à filin, des logements pour dix hommes de plus, et assurer le contrôle de la construction dans les chantiers de Newcastle.



Mais revenons en décembre 1916

Une communication Brest-Casablanca fut réalisée en 1915 par l'utilisation du câble allemand Emden-Teneriffe. Ce dernier câble, coupé au large d'Ouessant, fut relié à Brest à l'aide des sections relevées en Manche ; vers le sud, le câble, coupé au nord de Teneriffe, fut relevé sur 350 mille environ et reposé immédiatement vers Casablanca.

Ce n'était pas la première fois qu'on relevait du câble pour l'utiliser, mais l'opération n'avait jamais été faite que par petits fonds et pour des sections relativement faibles. Pour Brest Casablanca, les fonds dans le sud atteignaient 4.000 à 5.000 mètres.

L'opération fut effectuée par le navire anglais Dacia loué par l'Administration, et fut suivie par le service des câbles.

Le Maroc put être ainsi relié directement à la France par un excellent câble, dont la constante de temps n'est que très peu supérieure à celle du câble Marseille-Oran, et qui sera prochainement exploité au baudot.

En 1916, des travaux analogues furent poursuivis sur le câble allemand Teneriffe-Monrovia qui devint Casablanca-Dakar. Plus de sept cents milles de câble furent relevés par 4.000 mètres de fond et reposés. Cette opération fut suivie par un ingénieur du service dans les mêmes conditions que la précédente.

Des opérations du même ordre avaient permis de constituer les communications Saint-Nazaire-Birling Gap, Brest-Cherbourg, Cherbourg-Dunkerque.

Pendant la guerre , les travaux de détournement de câbles de CS Dacia étaient bien entendu tenus secrets. Mais lors de la cinquante-sixième assemblée générale ordinaire de la India Rubber, Gutta Percha et Telegraph Works Company, 

le 18 décembre 1919, le président de la société, le major Leonard Darwin, a présenté ce rapport sur les opérations :


Dacia
Il y a une autre question liée à l'histoire passée de l'entreprise à laquelle je souhaite faire allusion. Depuis le début de la guerre, j'ai dit plus d'une fois que nous travaillions pour le gouvernement français, mais je n'ai donné aucun détail. Au début de la guerre, nous avons été employés à détourner le câble allemand Emden-Teneriffe vers Saint-Nazaire et à effectuer plusieurs réparations sur les câbles du gouvernement français - travail dangereux, qui s'est terminé plus de deux ans plus tard avec le naufrage de notre navire et du Français qui l'accompagnait  dans le port de Funchal, Madère, par un sous-marin allemand.

Le Dacia

De loin le travail le plus important accompli par notre navire, le Dacia, sous la supervision des ingénieurs du câble sous-marin M. Crawford et M. Robinson successivement, a été le détournement du reste du câble allemand Emden-Teneriffe afin de relier Brest à Casablanca, au Maroc, et le détournement du câble allemand Ténériffe-Monrovia afin de relier le Maroc au Sénégal.

 

Le câble Emden-Teneriffe a d'abord été coupé à Brest, une longueur ramassée et rechargée à Brest. La même opération à plus grande échelle a ensuite été réalisée au large de Casablanca, de sorte qu'après avoir effectué les connexions nécessaires, cette deuxième portion du câble allemand Emden-Teneriffe a été transformée en un câble français Brest-Casablanca. Des travaux similaires ont été réalisés sur le câble allemand Ténériffe-Monrovia, prolongeant ainsi le câble français depuis Casablanca, à Dakar au Sénégal. Nos ingénieurs du câble, M. Crawford et M. Robinson, après avoir pleinement examiné les difficultés, ont estimé qu'il s'agissait d'opérations possibles; il n'y avait aucun signe. que tout autre expert anglais, qu'il soit gouvernemental ou privé, partageait ce point de vue ; tandis que les conseillers en électricité du gouvernement français ont déclaré que le projet était impraticable en raison de la profondeur de la pose du câble.

Imaginez pêcher un câble dans l'obscurité totale - non pas que toute lumière au fond aurait pu faciliter les choses - le câble se trouvant aussi loin sous le navire que la tour de Londres depuis Buckingham Palace; imaginez essayer de couper le câble dans ces circonstances dans l'espoir de pouvoir remonter l'une des deux extrémités ainsi libérées à la surface ; imaginez le tirer verticalement à travers ces près de trois miles d'eau, puis s'éloigner à la vapeur. tout en continuant à tirer le câble par le bas, en l'enroulant à bord sans aucun pli ni blessures inaperçues ; et enfin le relayer exactement là où c'est nécessaire ; imaginez tout cela, et je pense que le scepticisme quant à la possibilité de succès devient plus qu'excusable. Si nos informations sont correctes, cette performance remarquable est absolument unique dans l'histoire de l'entreprise de câbles sous-marins,

Le Dacia au moment de l'explosion - Funchal

Notre personnel sans exception a travaillé à merveille, mais le mérite principal du succès doit être attribué à notre directeur général, MCH Gray. Il a conçu le projet et a conseillé au Conseil de prendre les risques encourus ; il persuada le gouvernement français de négliger les doutes exprimés par ses propres conseillers experts ; et il inspira à toutes les mains l'énergie indispensable à la réussite d'un tel exploit.

 Je suis très heureux de dire que la position a été pleinement réalisée par le gouvernement français, car notre ministère des Affaires étrangères a récemment transmis à M. Gray la croix de chevalier de la Légion d'honneur, qui lui avait été décernée par le président de la République française République pour ses services pendant la guerre. Je sais que vous vous joindrez tous à moi pour lui présenter nos chaleureuses félicitations. (Acclamations.) C'est seulement sa modestie native qui l'empêche de porter le bouton rouge aujourd'hui. 

The Times Londres 19 décembre 1919


L'escale de Funchal marque la fin des travaux pour embarquer des vivres et du charbon et célébrer la fin d'une opération délicate et dangereuse. Ce jour là, la première torpille du sous-marin allemand U-38 a touché la soute à munitions de la canonnière Surprise qui explose et coule. Cette explosion entraine la perte des chalands et de leur personnel portugais.

Le journal L'Ouest-Eclair (5-12-1916) nous apprend qu'une canonnière française a été coulée dans le port de Funchal aux Açores.



Lisbonne, 4 décembre. Une note officieuse du ministère de la marine dit que les navires coulés dans le port de Funchal sont un convoyeur de sous-marin, le Kanguroo, le vapeur anglais Dacia, et la canonnière française Surprise.

L'Ouest-Eclair 5-12-1916

L'Ouest-Eclair 5-12-1916
Après le torpillage, les sous-marins ont bombardé la ville pendant deux heures, stationnant à trois milles de la terre. Les batteries terrestres ont riposté et ont forcé les sous-marins se retirer. Les dégâts matériels sont peu importants. Jusqu'à présent, aucune mort n'est signalée dans la ville

Il semble que trente-quatre hommes de l'équipage de la canonnière ont péri, y compris le commandant, et  quelques Portugais qui se trouvaient près des navires torpillés ont péri également.

Le gouvernement a pris des mesures.


L'Ouest-Eclair 6-12-1916

L'Ouest-Eclair du 9 décembre apporte un peu plus d'informations sur ce raid allemand sur Funchal, en effet on parle de la station anglaise du câble sous-marin.

Les Allemands s’indignèrent aussi de l’hégémonie britannique en matière de câbles intercontinentaux. L’Allemagne avait l’avantage d’une puissante industrie câblière et en équipements électriques, mais sa position géographique était très désavantageuse en regard de l’océan Atlantique. Les Anglais, conscients de la menace allemande, empêchèrent l’Allemagne de poser des câbles dans l’océan Indien. L’Allemagne, qui possédait une base navale en Chine et quelques îles dans l’océan Pacifique, put, avec l’aide des Pays-Bas, se relier au câble transpacifique américain. Malgré cela, les communications intercontinentales de l’Allemagne restaient à la merci des Anglais. C’est pour cette raison que les Allemands construisirent de gigantesques émetteurs de radio pour communiquer avec leurs colonies et les États-Unis. Comme les câbles français, ceux de l’Allemagne, en dehors de l’Atlantique nord, se révélèrent sans intérêt commercial ou stratégique

Le Kanguroo dont l'implication dans le soutien du C/S Dacia n'est pas clairement établi. Il aurait peut-être en cours de livraison d'un sous-marin.

Pour transporter pour le compte des gouvernements étrangers, MM. Schneider et Cie n'ont pu envisager ni leur remorquage, présentant trop d'aléas, ni leur envoi par leurs propres moyens, le rayon d'action de ces navires étant forcément limité. Ils ont adopté une solution ingénieuse, consistant dans la construction d'un bâtiment spécial, aménagé pour transporter un sous-marin dans une cale contenue dans sa coque, et auquel on a donné le nom caractéristique de Kanguroo. Ce navire a été construit par la Société des Chantiers et Ateliers de la Gironde, à Bordeaux, d'après les plans de MM. Schneider et Cie, sous la surveillance du Bureau Veritas, qui l'a classé dans la première catégorie.

 Le Kanguroo est, en somme, un dock flottant autopropulseur, ayant des formes navigables et abritant complètement le navire à transporter. Il a une longueur de 93 mètres et une largeur de 12 mètres; son tirant d'eau moyen est de 5m 95, correspondant à un déplacement de 5540 tonneaux. Il est entièrement en acier.


Son appareil moteur se compose d'une machine alternative à triple expansion d'une puissance de 85o chevaux, construite par les Ateliers Dyle et Bacalan, de Bordeaux, lui permettant de réaliser une vitesse de 10 nœuds environ. Il peut porter un poids utile de 3830 tonnes.

La coque du navire présente trois parties principales (fig. G, du texte, et fig. 1 à 3, pl. XIX) : 1° la partie arrière A qui contient la machinerie, les pompes, les logements, etc., et qui est disposée comme l'arrière d'un navire ordinaire; 20 la partie centrale B, qui est un véritable dock flottant, destinée à contenir le sous-marin ; 3° la partie avant C, présentant des dispositifs spéciaux pour l'introduction du sous-marin, d'une part, et pour l'équilibrage du navire,-d'autre part. ;

La cale a une longueur de 58 mètres et un volume de 3 3oo mètres cubes. Elle est constituée par une double coque en forme de U, raidie à sa partie supérieure par des poutres transversales et fermée par des panneaux mobiles. Ces panneaux sont mis en place au moyen d'un pont roulant courant d'un bout à l'autre de la partie centrale du navire, au-dessus de la cale; chaque tronçon repose d'un côté sur la paroi de la cale, de l'autre sur une poutre métallique placée au-dessus de la cale, parallèlement à l'axe de cette dernière.


L'espace compris entre les deux coques forme water-ballast dans la partie inférieure et caissons d'air dans les parties latérales.

La cale peut communiquer avec la mer de deux façons, soit par des vannes de fond placées à sa partie inférieure et manœuvrables du pont, soit par l'avant du navire.

Cette partie avant du navire comprend un tunnel, limité dans sa partie inférieure et sur ses côtés par des parois étanches. L'espace compris entre ces parois et la coque constitue trois water-ballast : un inférieur et deux latéraux symétriques. Ce tunnel est séparé de la cale proprement dite par une porte d'acier étanche à deux battants et de la mer par une partie démontable, constituant la proue du navire, dont l'enlèvement permettra l'introduction du sous-marin.

L'équipage du Kanguroo se compose de quatre officiers, trois mécaniciens, treize marins et chauffeurs, et deux mousses. Le navire comporte encore des emménagements pour le logement de vingt-deux hommes, dont six officiers, constituant l'équipage du sous-marin qu'il transporte. Il contient encore une soute spéciale pour le transport des torpilles.

Le Kanguroo, lancé à Bordeaux le 12 avril, a subi à Rochcfort de brillants essais, et a gagné le port de Toulon, où il vient d'être chargé du sous-marin Ferré, destiné au Gouvernement péruvien, et qu'il transporte actuellement à Callao.


sources :

https://atlantic-cable.com/Cableships/Dacia/index.htm

https://www.colsbleus.fr/articles/11160

https://envelopmer.blogspot.com/2016/12/la-surprise-majunga-madagascar-3.html

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/05/30/comment-des-dirigeants-europeens-ont-ete-espionnes-par-la-nsa-depuis-le-danemark_6082102_4408996.html

https://books.openedition.org/igpde/3199?lang=fr


ASSOCIATION DES AMIS DES CABLES SOUS-MARINS 

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