30 avril 2020

Kerguelen Xmas James Cook Port Christmas Baie de l'Oiseau TAAF

NOËL aux Kerguelen par le contre-amiral de Brossard (2s)


approche de la pointe de l'Arche et de la baie de l'Oiseau photo JM Bergougniou


Nous avions la plupart du temps de forts grains du nord-ouest... le 16 décembre, les premiers pingouins apparurent et des algues qui augmentaient à mesure que l'on avançait ». Puis, vers les 650 de longitude, « nous avions maintenant un temps à brouillard et comme nous prévoyions de tomber sur la terre à chaque heure, notre navigation devint à la fois pénible et dangereuse. »





la baie de l'Oiseau entre Mt Havergal et Cap Français  photo JM Bergougniou




Ainsi, James Cook, parti de Plymouth le 12 juillet 1776 à bord du Résolution accompagné du Discovery monté par Clerke, après une escale au Cap en novembre, décrit-il dans son journal, son approche des îles Kerguelen découvertes plus de quatre ans auparavant par le courageux navigateur breton.



Le 24 décembre enfin, alors qu'ils gouvernaient à l'est, par 48°25' sud, le voile de brouillard s'entrouvrit et le cri tomba de la grand-hune en même temps que l'état-major voyait la terre une île assez haute, courtaude, puis une autre semblable. C'étaient l'île de Croy et l'île du Roland baptisées en 1774 par Kerguelen lors de son second voyage. Le brouillard s'éclaircissant encore, l'île de Clugny parut dans le sud, ainsi que les îlots du groupe qui précède le cap François dans l'ouest.



Entrée de la baie de l'Oiseau photo JM Bergougniou

Puis le brouillard se referma et Cook prit avec raison une route de sécurité vers le nord où il tomba sur l'île de la Réunion ou du Rendez-vous.





Il observa rapidement la silhouette de ce caillou, puis, se tournant vers le jeune Bligh, master à bord du Résolution, il lorgna son chapeau cabossé et planté à la diable sur sa tête.

— Eh bien, monsieur, lui dit-il. Il me semble indiqué de baptiser cet îlot Bligh's Cap. J'espère que vous en serez fier.

Cook n'était jamais prodigue de compliments ou de plaisanteries et lorsqu'il se laissait aller à en faire, elles étaient parfois jugées un peu raides (rough). Mais le futur capitaine du Bounty n'en était pas à cela près. L'intérêt sans grande nuance que lui portait le célèbre James Cook donnait à ses mots, un tour d'affection inestimable.





Pendant ce temps, à l'avant, au poste et même autour de Cook, chacun se réjouissait d'avoir eu enfin la vue de la terre et le reste n'était, dans l'esprit des gens du Résolution, qu'affaire d'un peu de chance et de routine. Telle était la confiance qu'ils avaient en leur capitaine. La Terre était là — et ils pensaient bien qu'il trouverait un bon mouillage avant la nuit, où, selon la tradition, une franche gaieté salée ferait oublier les dangers courus la semaine précédente et les voltiges dans la mâture fouettée par des grains glacés.



Cette euphorie de la terre régnait dans les esprits malgré une mer violente qui brisait effroyablement sur toutes les côtes. Cook ne put s'empêcher d'extérioriser sa pensée

— Bligh's Cap est peut-être l'île du Rendez-vous de M. de Kerguelen, mais je ne vois aucun être pour y venir à part les oiseaux car elle est certainement inaccessible pour tout autre animal.


A 11 heures, le temps s'éclaircit et sans perdre de temps, le Résolution gouverna sur la terre, dans le sud.





Que Cook confondit le cap François avec le cap Saint-Louis, n'a qu'un intérêt particulier. Ce qui est important, en relation avec son caractère, c'est le déroulement des événements.




Dès qu'il put contempler l'extraordinaire découpage de la côte, il présuma qu'il pourrait rencontrer un bon mouillage. Son équipage ne s'était pas trompé sur ses réactions. La première baie, profonde et apparemment abritée des vents du secteur ouest, lui apparut comme un signe. Mais le vent tomba et il dut mouiller à l'entrée de la baie où le Discovery le rejoignit.

Aussitôt Bligh fut envoyé avec un canot en reconnaissance. Son rapport fut excellent.



Cependant la position actuelle était peu confortable et chacun le sentit bien. Aussi lorsque la soirée s'avança sans qu'aucun ordre ne fût donné de sortir les réserves de conserves habituellement destinées aux fêtes carillonnées, chacun se replia sur soi et, considérant la précarité du mouillage, fila prendre son quart sur le pont ou se coucher en priant qu'un grain ne vienne pas troubler cette première nuit proche de terre. La dinde en confit serait pour plus tard.

En fait, la nuit passa sans alerte et sans festivité. Le service avait été assuré comme à la mer et ce n'était que prudence.





Le 25 à l'aube, qui est très tôt en décembre sous cette latitude australe, la cloche appela les bordées. Les barres de cabestan étaient déjà en place. Il n'y eut qu'à virer. La brise était d'ouest, fort maniable et gentiment le Résolution pénétra dans l'étroite baie de l'Oiseau entre les deux impressionnants massifs noirs et vert sombre, sous le regard curieux de nombreux manchots alignés au garde-à-vous sur les corniches. L'ancre tomba à un quart de mille de la plage grise qui est au fond du couloir, par huit brasses d'eau claire.



Vers la pointe d'Anières photo JM Bergougniou

Aussitôt, Cook, la mine rougeoyante et le geste vif, ordonna qu'on mit les bateaux à la mer et sans désemparer, les hommes brassèrent les vergues pour extraire canot, chaloupe et yole du pont du milieu.

Le Discovery rejoignait son chef de division au début de l'après-midi lorsque les premières corvées poussaient du bord vers la côte ouest, la plus proche.



la baie de l'Oiseau photo JM Bergougniou

Le spectacle était fort paisible de ces deux navires aux voiles carguées, avec leurs câbles d'ancres à peine raidis, posés comme sur un plateau de glace et s'y reflétant, sans qu'aucune ride ne vînt troubler les, images, sans qu'un souffle de vent n'inclinât les pavillons. Tout semblait immobile.



pointe de l'Arche photo JM Bergougniou

Des sujets de vitrine placés dans un décor romantique au sud, une masse dressée comme un château féodal sombre sur une falaise verdâtre terminée en mer par une étrange roche percée en arc romain ; au nord, une chute verticale noire surmontée d'une colline arasée comme une table.

Des hunes et des barres où quelques gabiers avaient été envoyés travailler sur les manoeuvres, les hommes découvraient vers l'est, la succession des caps d'une côte déchiquetée.



pointe de l'Arche photo JM Bergougniou

Calme étrange de la nature...

Par contre, agitation des hommes. Trafic de bateaux corvées d'herbe pour les animaux des bords, corvées d'eau, corvées de bois — hélas le vert n'était pas de l'herbe, mais Cook fit tout de même ramasser grande quantité de bottes d'azorella. Les animaux devraient s'en contenter.

Lorsqu'on lui rendit compte qu'on ne trouvait pas de bois, il devint rouge et cria qu'il fallait mieux chercher. Et puis :



 Mt Havergal photo JM Bergougniou


— Je vois des phoques, monsieur King, dit-il sans se tourner vers son lieutenant en second, envoyez-moi une corvée pour en tuer trois ou quatre, et qu'on fonde leur lard aussitôt. Il nous faut de l'huile pour nos lampes, nos cuirs, et peut-être du lard pour brûler dans les fourneaux, allez, allez vite, monsieur...

Et le lieutenant en second James King, alla...



 Mt Havergal photo JM Bergougniou

Jusqu'à la nuit, tous ceux qui ne travaillaient pas à bord, furent à terre fort occupés ; les mieux partagés étaient ceux qui étaient chargés de pêcher.

Lorsqu'il fut évident que les poissons étaient pareillement absents dans l'eau que le bois sur la terre, l'équipe alla dans les rochers assommer quelques manchots royaux qui reçurent le coup de bâton fatal en restant tranquillement au garde-à-vous.

Le soir de Noël, tout le monde à bord ne songeait qu'à dormir. Cook, infatigable comme toujours, s'était retiré dans sa chambre pour écrire ses déceptions quant aux ressources de la terre.

Il avait débarqué avec le premier canot et aussitôt entrepris d'escalader les rochers. Il eut assez vite une vue d'ensemble de la baie mais dès ce moment un brouillard épais dévala par le couloir de l'ouest et rendit le retour à bord difficile. Cette brume nécessita de renforcer le service de nuit pour parer un changement de temps.

Le 26, pluie et brouillard. Dès l'aube,

pointe de l'Arche photo JM Bergougniou


Cook était encore sur le pont.

— Allons, monsieur Bligh, hâtez-moi l'envoi des corvées, ne voyez-vous pas que le temps ne sera pas éternellement clément ? L'eau, le tussock, la mousse (il s'agissait de l'Azorella Selago dont le vert avait trompé tout le monde à l'arrivée), les phoques et des oiseaux... Allons, vite !

La pluie gonflait les ruisseaux, les collines semblaient couvertes d'une nappe d'eau, des cascades nouvelles jaillissaient, tout ruisselait.

Ce jour-là, tout le monde fut trempé et fourbu.




Le lendemain, comme on lui rendait comp te que tous les tonneaux étaient pleins d'une eau excellente, que le parc à fourrage était bourré de - mousse » et de tussock, voyant que l'essentiel était acquis de ce que cette terre pauvre pouvait lui procurer, il dit le plus simplement du monde à Gore, son premier lieutenant

— Monsieur, nos hommes ont bien travaillé. Nous avons pris quelque liberté avec le calendrier, mais il le fallait bien, n'est-ce pas ? On n'est pas maitre du temps. Alors cette journée sera celle du repos et nous fêterons Noél, l'âme en paix, quittes de nos devoirs.

En fait, pendant les sept jours qu'il passa sur les côtes de Kerguelen, Cook bénéficia d'une extraordinaire absence de tempête, dans un pays où les dépressions passent à la cadence d'une par jour.

Ce fut ce 27 décembre qu'un matelot découvrit accrochée à un rocher sur la
rive nord de la baie, une bouteille qui fut aussitôt portée au capitaine. Il eut alors la confirmation du passage de Kerguelen en lisant l'inscription qu'elle renfermait

Ludovico XV Galliarum/Rege et D. de Boynes/Regi a Secretis ad res/ Maritimas annis 1772 et 1773.
Il écrivit au dos du document
Naves Resolution/ et Discovery/ de Rege Magnae Brittaniae/Decembris 1776.

Puis il le remit dans la bouteille avec une pièce de deux pennies, boucha au plomb et le lendemain alla lui-même la replacer sur un cairn qu'il fit édifier dans ce but.

Les deux navires restèrent au mouillage jusqu'au 29. Après quoi ils gouvernèrent au sud-est le long de la côte nord de l'ile puis ils suivirent la côte est et lorsqu'il la quitta, Cook, après avoir nommé les baies et les caps rencontrés, écrivit ceci

« Les premiers découvreurs, avec quelque raison supposèrent qu'il s'agissait d'un cap du continent austral, les Anglais ont depuis prouvé qu'un tel continent n'existe pas et que la terre en question est une île sans grande étendue, qu'en raison de sa stérilité, .. j'appellerai l'île de la Désolation (*). »


Il savait cependant que Kerguelen avait appelé sa découverte « France Australe -, Par contre, lorsqu'il baptisa « Christmas Harbour » son premier mouillage, il ignorait que Kerguelen l'avait déjà nommé la « baie de l'Oiseau », du nom de la frégate commandée par le lieutenant de vaisseau: de Rosnevet.

Quoi qu'il en soit, les états-majors et les équipages du Résolution et du Discovery se souvinrent de leur Noël décalé de l'an 1776. Jamais, écrivit un témoin, jamais avant cela, je n'avais vu la fête de Noël réduite à si peu.

(*) Journal original de James Cook, reproduit intégralement dans The Journals of Captain James Cook. edited by J.C. Beaglehole. Hakluyt Society.

Vol. III, pp. 42-43. Cambridge 1967. Toutes les citations de cet article sont tirées de cet ouvrage.


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