22 août 2017

Frégate L'Aventure assistance aux pêches passage du cercle polaire 1953

Frégate L'Aventure assistance aux pêches passage du cercle polaire 1953 


Encore une trouvaille : un brevet de passage du cercle polaire arctique sur l'Aventure  en août 1953. Comme on dirait : "Une belle pêche".

L'Aventure c'est :

Dix officiers, cent dix officiers mariniers, quartiers-maîtres et marins.
Voilà les hommes qui vivent à bord de L’Aventure et la font marcher. Tout en eux diffère, la formation, les grades, les caractères, les fonctions, et cependant cela s’agglomère pour faire un ensemble qui s’identifie au bâtiment et lui donne une âme. 

Les officiers sont dix : l’officier en second, président de carré, a la lourde tache de faire fonctionner le bâtiment sans heurts, de le tenir propre et bien entraîné ; il est secondé par quatre offi- ciers de marine, un lieutenant de vaisseau et trois enseignes. Il en est suffisamment parlé dans ces pa- ges pour que vous les connaissiez.

Les trois autres, médecin, commissaire et officier mécanicien, constituent ce qu’on appelle traditionnellement dans la Marine « la garde nationale ». Non moins traditionnellement, il est de bon ton de paraître penser qu’ils n’ont rien à faire et qu’ils voyagent à bord en touristes, « comme leur malle ».


Le Passage du Cercle polaire 
Le goût du déguisement est d’ailleurs général à bord ; tout le monde connaît des cérémonies qui marquent le passage de la ligne, quand on franchit l’équateur.

Le passage du cercle polaire est certainement beaucoup moins fréquent ; aussi la cérémonie qui l’accompagne est-elle moins connue.

21 août, sur le Grand Hellefiske.


La fête aura lieu ce matin, mais on y travaille depuis des jours et des jours. Le temps n’est pas au diapason, il souffle une aigre bise du nord ; mais, après tout, la couleur locale n’en est que mieux respectée. 


A 10 heures, les haut-parleurs annoncent :

« Habitants des Terres polaires, faites votre office. »

On stoppe pour que le maximum de marins puissent assister à la cérémonie. Et, surgi des profondeurs de L’Aventure, le cortège des notables du royaume de Frigolie défile majestueusement sur le pont.

Le roi Frigolus est magnifique ; coiffé d’une couronne dorée, orné d’une barbe blanche des plus réfrigérantes, il passe sans daigner abaisser son regard sur le vil peuple ; la reine, qui lui donne le bras, minaude et baisse les yeux... sans en voir pour autant le pont, car elle est munie d’une poitrine qui la qualifie plus sûrement pour un concours de nourrices que pour l’élection de miss Pôle Nord. 


L’évêque de la cour, lui, mitre en tête et crosse en main, est très digne ; le premier maître mécanicien regarde la crosse et renonce par avance à l’espoir de s’y retrouver en comptant les tubes de rechange de condenseur. Deux enfants de choeur escortent Monseigneur, joufflus et poudrés à souhait ; l’un deux, impassible, le regard ingénu, n’aurait qu’à mettre les vêtements du commissaire pour être immédiatement reconnu. 


Derrière, les gendarmes, naturellement ; il peut y avoir des néophytes qui cherchent à se dérober au baptême. Puis quelques bouffons et animaux familiers, comme on en voit dans toutes les cours bien organisées. Comme vous représentez-vous un ours blanc ? Le nôtre a une tête en carton un peu schématique ; il ravirait sûrement un sculpteur cubiste. On voit aussi un pingouin que l’on reconnaît très bien quand on sait ce que c’est. 


Quand le cortège a fait le tour du pont, les gendarmes massent les néophytes, sans mollesse, sur la place arrière : le roi Frigolus va parler
– Etrangers à mes domaines, « Fils des eaux tempérées, « Navigateurs habituels des latitudes séistatiques et jemenfoutiques... C’est nous tout ça ...




Après quelques paroles aimables sur le bâtiment et le pays dont il porte le pavillon, le roi expose les lois de son pays ; par un hasard inexplicable, elles visent particulièrement les activités habituelles de L’Aventure, et même quelques incidents de la vie du bord.


– Interdiction :
  • « de sonder le fond de ces mers, où j’aime à être tranquille pour faire la promenade ; 
  • « d’émettre des ondes en général, car cela cause des bourdonnements d’oreilles à l’oie sauvage qui me sert de pigeon voyageur ; 
  • « de chasser vers le sud avec vos hélices de l’eau qui est ma propriété polaire ; 
  • « de me voler cette eau, pour la mettre dans des bouteilles, comme je l’ai déjà vu faire ;
  • « de descendre dans la mer des objets comme des thermomètres, que je ne tiens pas du tout à voir arriver dans ma soupe quand je prends mes repas ; 
  • « d’égratigner la peinture des icebergs avec des projectiles.
  • « de souiller ladite peinture avec de la fumée noire ;
  • « de grenader la tête des roches ;
  • « de faire peur aux marsouins en tirant des coups de fusil ;
  • « de pêcher des dadins arctiques, qui sont libres, innocents et syndiqués ;
  • « de consommer des boissons dont la teneur en alcool est plus forte que celle de l’eau. 

Cette dernière interdiction est une perfide allusion au souci de l’officier en second de défendre, armé du règlement, les deniers de l’Etat ; il y a délivrance de thé punché quand le temps est mauvais et froid. 
Dans les cas douteux, on tente quand même le coup ; 
– Il y en a ?
– Non.
... Et l’on boit des « boissons dont la teneur en alcool n’est pas plus forte que celle de l’eau de mer ».

Le roi continue, en citant les peines qui seront infligées aux contrevenants. La moindre est d’être exilé sur un iceberg, mais on peut être livré comme aiguise–griffes à un ours adulte, ou avalé par une baleine, ou même « être servi comme dessert à une compagnie de deux mille de mes plus vaillants moustiques ».

Et enfin :

– En cas de récidive, ou de mauvaise conduite générale du bâtiment, ce dernier sera écrasé par une aurore boréale que je ferai tomber.
Pas moins ! 



Le dernier paragraphe est d’une haute envolée lyrique ; il y est question 


« du bâtiment qui est venu à l’ombre de l’étoile Polaire, dans un froid bienfaisant et égalitaire, apporter le salut de la nation, mère de la liberté et de la générosité, symbole de la vérité et de la vertu pacifique et universelle ».
La cérémonie commence.

Il n’est, bien entendu pas question, d’immersion totale dans une eau glaciale, mais deux seaux ont été remplis, l’un d’eau de mer, l’autre de glace cassée menu.

Le cortège s’en donne à coeur joie pour lancer les glaçons à pleine mains sur les néophytes, tandis que l’évêque, à coups de goupillon, je veux dire de pinceau grand modèle, asperge la foule. 



Seulement, voilà... L’Aventure, fidèle à son habitude quand elle est stoppée, est presque vent arrière, et tout revient sur le cortège, qui est plus copieusement arrosé que les autres.

Cela ne fait rien et, après l’apéritif d’honneur, offert traditionnellement aux artistes par le commandant, on s’en va absorber le repas soigné des grands jours, qui écornera les économies que le commissaire a faites à cette occasion, en contemplant le certificat de baptême délivré en grande pompe. Il porte deux signatures ; celle du vicaire aumônier général de la cour ressemble comme deux gouttes d’eau à celle du quartier maître détecteur Bobin. Quant au Grand Chancelier pour les Visages Pâles, Garde des Sceaux, c’est Paul–Emile Victor en personne. Vous voyez que c’est du sérieux. L’après-midi, une séance récréative et théâtrale dans le poste 3 (bien entendu) réunit tout le monde. Il y a même les ouvreuses pour distribuer les programmes, avec beaucoup de gentillesse ; le poil aux jambes m’empêche pas les bonnes manières...  


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Sources

CAPITAINE DE FRÉGATE BLANCHARD “ L’AVENTURE” ET SES TERRE-NEUVAS

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