23 novembre 2018

Pologne la Poste clandestine Varsovie Musée insurrection Solidarnosc Solidarité Gdansk

La poste clandestine en Pologne


Varsovie musée de l'insurrection
le petit résistant 1944
photo (c) JM Bergougniou 
Le timbre, simple morceau de papier imprimé, coloré, peut avoir parfois dans des périodes difficiles un rôle insoupçonné. Guerres, conflits, résistances, contestations vont lui donner des lettres de noblesse qu'il ne soupçonnait pas.
Et souvent l'historien ne s'en préoccupe pas.
En 1981, j'ai hébergé un étudiant polonais venu faire les vendanges en Anjou et bloqué en France pour de nombreux mois par l'instauration de la loi martiale en Pologne.

Les courriers échangés avec sa famille vont me confronter à la réalité de la censure et des échanges contrôlés par la Police politique, à la découverte des luttes clandestines et de la Poczta Solidarnosc. 


Devenue la branche polonaise de la famille, les voyages en Pologne me permettront de collecter tracts, timbres et souvenirs.


La Pologne, où les clandestins se sont efforcés, de l’occupation nazie à l’instauration de l’état de guerre, d’intensifier leur lutte tout en la popularisant via la confection de vignettes assurant la transmission d’une correspondance interdite. Des savoir-faire se sont ainsi transmis, d’une génération de combattants à l’autre, offrant à l’historien le moyen de mieux comprendre et de décrypter les termes du combat.


Lettre censurée Miechow 27 décembre 1981 
Cachet Rouge Ocenzuruwano 



C’est un petit morceau de papier fin, un rectangle de quelques centimètres de hauteur et de largeur, la bordure est crénelée ; l’encre a légèrement bavé ; le verso est vierge tandis que sur son recto a été représenté un jeune garçon de 12 ans à peine, portant une casquette et, en bandoulière, une petite gibecière ; il court dans une rue en ruines avec à la main une enveloppe. En haut à droite, est inscrit cinquante zlotych et, au bas du rectangle, en lettres rouges, les mots « Poczta Solidarnosc ».

 À l’encre noire, figurent aussi les dates « 1944 » et « 1981 ». 

Cet énigmatique vignette de papier est conservée dans un album de la collection de timbres. Pourtant cet objet n’est pas un timbre ; il en a la forme, le contenu, mais il n’a jamais été oblitéré et n’aurait pas pu l’être. 
Il s’agit en effet d’une vignette produite par des militants du syndicat Solidarité au début des années 1980 et vendue souvent à l’étranger, non pour acquitter à une poste le prix de l’envoi et en permettre la distribution, mais pour soutenir financièrement l’action politique d’un groupe.


Varsovie musée de l'insurrection
photo (c) JM Bergougniou 

Par son histoire, celle de sa fabrication et de sa circulation, et la scène qu’il représente, ce petit morceau de papier porte une histoire qui n’est pas seulement celle du courrier en Pologne au 20e siècle mais celle de trois actes de résistance politique.

Enquêter sur des pratiques postales participe ainsi notamment d’une analyse de la manière dont, dans les États modernes, elles contribuent à l’établissement et à la défense de la démocratie, non seulement au titre de la liberté d’expression, mais également comme affirmation du contrat social par l’écrit. 


Varsovie musée de l'insurrection
photo (c) JM Bergougniou 

L’écriture postale constituerait une forme de résistance au totalitarisme et à l’un de ses rouages principaux, selon Hannah Arendt : la peur. 

À trois moments de l’histoire polonaise, lors de deux périodes de crise (l’insurrection d’août 1944, l’état de guerre de décembre 1981), l’institution postale cristallise une série d’enjeux qui sont aujourd’hui réactivés au sein de leur commémoration dans un contexte particulier : celui de la construction européenne de l’après-1989.

Les petits postiers de l’Insurrection 1944

Varsovie musée de l'insurrection
boite à lettre 1944 photo (c) JM Bergougniou 
Le jeune homme dessiné sur la vignette de l’enseignant français est un scout polonais des années 1940. La scène représentée est le dernier épisode de l’occupation par les nazis de la Pologne. Au début du mois d’août 1944, l’AK, l’armée clandestine polonaise mène une insurrection à Varsovie, soit plus d’une année après l’insurrection puis la liquidation du ghetto juif. 

Varsovie Musée de l'insurrection
Courriers transportés
par les Scouts polonais 
photo (c) JM Bergougniou

L’Armée rouge soviétique se tient de l’autre côté de la Vistule et attend sans apporter la moindre aide aux patriotes polonais. 



Elle n’entre dans la ville que lorsque les Allemands ont totalement rasé son centre, qu’une fois tombée la grande majorité des membres des armées intérieures polonaises. 






Après soixante-trois jours de combat, presque deux cent mille civils tués et plus de dix mille résistants polonais morts, l’insurrection prend fin.

Pendant deux mois, les résistants polonais ont mené une bataille acharnée ; presque toute la population en âge de se battre s’est mobilisée, tandis qu’une grande partie de la jeunesse s’est impliquée dans les organisations de scoutisme. 

Varsovie Musée de l'insurrection
Courriers transportés par les Scouts polonais
photo (c) JM Bergougniou
La première troupe scout polonaise fut fondée en mai 1911, suivie moins de deux ans après par les guides. À la fin de la première guerre mondiale, et avec l’indépendance de la Pologne, l’association ZHP qui fédère les différents groupes existant en Pologne est créée. Le premier rassemblement Jamboree a lieu en 1924. Et quand éclate la seconde guerre mondiale, de nombreux responsables de la ZHP ont émigré ; cependant, très vite, les guides et scouts demeurés en Pologne participent à l’action clandestine et deviennent un élément important de la nation occupée.


Varsovie Musée de l'insurrection
combattant et infirmière de l'AK

photo (c) JM Bergougniou

Les guides tentent d’aider les nécessiteux, les faibles et les enfants ; quant aux scouts, ils poursuivent leurs missions sous le nom de « Szare Szeregi » (grade gris). Ils occupent des rôles différents selon leurs âges. La tête de cette organisation est successivement assurée par le prêtre Jan Mauesrsberger (1939-1942) et Tadeusz Kupczynski (1942-1945), ainsi que par les commandants successifs : Florian Marciniak (1939-1943), Stanislaw Broniewski alias « Orsza » (1943-1944), Leon Marszalek (1944-1945). 


La mission des Szare Szeregi est alors de conscientiser les plus jeunes au combat contre l’occupant pour préparer la future libération de la Pologne. Ils incarnent en somme le devenir polonais.

Les plus âgés (15 ans et plus) sont ainsi en charge de sabotages mineurs. Ils écrivent sur les murs, y inscrivent le symbole de la résistance. À Varsovie, cette bataille fut surtout menée par de jeunes gens, en grande partie les scouts de l’Organisation pour le petit sabotage « Wawer" le Szare Szeregi, et plus de vingt autres prisonniers politiques polonais qui furent transférés du siège de la Gestapo à la prison de Pawiak le 23 mars 1943.


Varsovie musée de l'insurrection
 photo (c) JM Bergougniou 


L’autre action très célèbre fut l’attentat contre le commandant allemand de police à Varsovie Franz Kutschera le 1er février 1944, en représailles duquel les Allemands exécutèrent de nombreux patriotes polonais dans les rues de Varsovie? 
 Lorsqu’elles atteignaient l’âge de 18 ans, elles entraient dans l’armée clandestine des femmes (Wojskowa Suba Kobiet, WSK). L’insurrection lancée, les guides prirent en charge les orphelins et menèrent toute une série d’actions à caractère humanitaire, tandis que les plus âgées apportèrent une aide infirmière et logistique, dont certaines à la communication et au courrier.

Une poste clandestine fonctionna à très grande échelle pendant l’insurrection de Varsovie d’août à septembre 1944



Varsovie Musée de l'insurrection
reconstitution d'une imprimerie clandestine
à partir de matériel d'époque 
photo (c) JM Bergougniou
Le service postal des scouts polonais joua un rôle crucial en maintenant tout au long des combats le contact non seulement entre les habitants de Varsovie mais aussi entre les différents groupes de l’AK (Armée de l'Intérieur Armia Krajova)

Varsovie Immeuble du ghetto
ayant survécu à la rénovation urbaine.
Sur les murs, des habitants du quartier
ou de l'immeuble
Photo (c) JM Bergougniou
Lorsque le 1er août l’insurrection fut engagée, il s’agissait stratégiquement de prendre les ponts sur la Vistule pour tenir la capitale afin d’y installer les autorités légales polonaises avant l’arrivée de l’Armée rouge. En réalité, les résistants ne parvinrent jamais à tenir ces points stratégiques mais libérèrent plusieurs quartiers jusqu’à y mettre en place des points d’administration militaire et civile polonaise. Et il revint aux scouts d’assurer leur liaison en créant un service postal qui devait aussi permettre aux civils de se donner des nouvelles.

Zbigniew Bokiewicz rapporte que le tout premier service postal fut organisé par le chef scout Kazimierz Grenda dans la zone du Centre-Sud de la ville dès le 2 août. Ce service, d’abord limité à cette seule zone, fut étendu à partir du 4 août à toutes les parties libérées de la ville. Selon les historiens de l’Insurrection, huit autres postes existaient dans les diverses zones; les scouts avaient disposé des boîtes postales sur une quarantaine de sites dans toute la cité. 


Varsovie Musée de l'insurrection les journaux
photo (c) JM Bergougniou
Toute lettre était limitée à vingt-cinq mots maximum ; soumise à la censure afin qu’aucune information importante ne tombe dans les mains des Allemands, chaque missive était livrée gratuitement. On recommandait de ne pas écrire trop souvent (de s’abstenir d’envoyer à la même personne plusieurs lettres quotidiennes), de rédiger lisiblement ses messages et d’éviter les supports de mauvaise qualité.


Varsovie Musée de l'insurrection courrier avec le tampon Poczta
et la fleur de lis scoute

photo (c) JM Bergougniou
C’est une semaine après le début de l’insurrection que les premiers tampons apparurent : le 6 août, on tamponna les lettres d’un cercle portant les insignes des scouts ; puis des timbres furent artisanalement fabriqués. Un des premiers fut réalisé sur une moitié de pomme de terre coupée, l’écriture et le logo découpés en relief au moyen d’un canif. Les archives sont fort rares pour documenter cette première période

On sait néanmoins que d’autres matériaux furent employés (linoléum, caoutchouc ou métaux mous). Passé le premier mois, la poste fut incorporé à l’AK et appelée le « Service postal de l’Armée ». On imprima alors des timbres « officiels » en cinq couleurs, qui représentaient les cinq zones de Varsovie libérée.

On estime aujourd’hui que le nombre quotidien de lettres qui transitaient par le Service postal pendant les premiers jours de l’Insurrection était de trois à six mille, qu’il put atteindre dix mille le 13 août ; le service fonctionna jusqu’au dernier jour, celui de la capitulation des insurgés le 3 octobre 1944. Le nombre total de lettres qui transitaient par le Service postal pendant les soixante-trois jours de l’Insurrection de Varsovie fut, selon Stanislaw F. Ozimek, d’environ cent cinquante à cent soixante mille lettres.

Solidarnosc Solidarité Années 1980


en pliant ces petits cochons...
document JMB


Avec l’emprisonnement massif de militants du syndicat officiel Solidarité, ces mêmes pratiques sont réactualisées au début des années 1980, sous l’état de guerre. Au cours de la décennie précédente, à la suite des répressions très dures (près de quarante morts et plusieurs milliers d’arrestations) des grèves et manifestations d’ouvriers à Gdansk en décembre 1970, par le gouvernement dirigé par Wladislaw Gomulka, l’arrivée d’Edward Gierek à la tête de l’État avait fait souffler une relative liberté. Les relations avec l’extérieur, et en particulier l’Occident, se multiplient : voyages comme correspondances.


on obtient la caricature
de Jaruzelski
Impression Clandestine
Collection JMB

Mais le 13 décembre 1981, le général Wojciech Jaruzelski annonça dans une allocution transmise par la radio et la télévision, l’instauration de la loi martiale en Pologne. Un organisme appelé le Conseil de sauvetage national (WRON), dirigé par le général lui-même, avait pris la totalité du pouvoir sur le territoire national. Après l’ouverture qu’avait constituée la reconnaissance légale du syndicat Solidarité, la Pologne entrait dans une période de répression sans précédent.

L’état de guerre conduisit ainsi à l’envoi de plus de dix mille militants dans quelques dizaines de camps dans tout le pays, dont les plus tristement célèbres furent Bialoleka, Darlowko, Goldap, Jaworze, Kielce Piaski, Kwidzyn, Lowicz, Radom, Strzebielinek, Strzelce Opolskie, Uherce, Wronki, Zaleze

Tract Camp de Bialoleka 1982
collection JMB















Gdansk Entrée du chantier naval
face à face

collection JM Bergougniou
8 728 hommes et 1 008 femmes furent internés.  Les internés furent soumis à la « rééducation », les plus résistants détenus en « isolement » jusqu’au décembre 1982. Le régime pendant la loi martiale établit 10 132 décisions d’internement concernant 9 736 personnes (396 décisions étaient relatives à des personnes ré-internées).



Les lieux d’internement furent variés – du commissariat urbain au camp isolé avec miradors – mais avec une série de constantes dont l’exercice de la censure et la rétention du courrier qui y étaient particulièrement sévères. Pour lutter contre l’isolement et les mauvaises conditions de détention, les militants emprisonnés mirent en place dans de nombreux centres des postes clandestines. 

Badge Solidarnosc  NSZZ
Syndicat Autonome Indépendant
collection JMB
Le but de l’organisation d’un système de communication au sein des internements avait, outre une fonction psychologique, une fonction stratégique : il s’agissait de se donner les moyens de continuer à gouverner la lutte du dedans. Ces pratiques d’écritures en détention sont encore mal connues : elles ne semblent cependant pas différer de celles analysées pour la France ou pour la Russie : rédaction de biftons jetés ou échangés, etc.
De même, l’organisation d’un dispositif d’envoi et de réception d’un courrier a été notamment observée dans les camps de prisonniers pendant la seconde guerre mondiale

Timbre relatif aux combats de 1920
contre
les Russes Bolchéviques
Les Polonais étaient assistés par la France
Collection JMB

Ainsi, d’anciens prisonniers témoignent de la manière dont ils procédèrent pour fabriquer leurs timbres. Krzysztof Stasiewski, détenu au camps de Gebarzewo, raconte aujourd’hui qu’il produisit, en avril 1982 et dans les mois suivants, plus de quatre cents copies d’un timbre qu’il avait réalisé à partir des matières premières disponibles en internement. Ce timbre représentait une rose semblable à celle qu’une visiteuse de son codétenu avait apporté. L’impact des fleurs dans leur cellule, la force qu’elle leur procura dans la lutte l’encourageant à en faire le motif du timbre


TamponCourrier non censuré
La fabrication d’un timbre et la confection d’une flamme sont ici, bien sûr, symboliques ; ils représentent un espace d’expression d’une liberté reconquise mais n’ont aucune fonction dans la circulation de l’écrit. C’est grâce à la complicité de quelques fonctionnaires de la poste qu’existe un circuit parallèle de distribution. Ainsi les prisonniers internés dans le camp d’Uherce écrivent-ils en décembre 1982 à leur postier, pour solliciter son aide et collaborer à la poste clandestine. 



Tampon Courrier censuré
Car restreints dans le choix des destinataires, les internés sont soumis à une double censure, celle de la prison et celle de la poste. Il faut que des postiers soustraient ces courriers du regard de leurs collègues et de la police. C’est donc un acte de résistance fort qui est demandé aux postiers par les internés, sans que l’on puisse aujourd’hui savoir dans quelle proportion cet appel à désobéir fut suivi.


L’important, en effet, est que l’existence de cette poste de Solidarité permet au syndicat non seulement de continuer son action mais aussi d’investir un lieu du pouvoir. Il exista jusqu’à une trentaine de postes à travers l’ensemble du pays. Parmi les plus grandes, celles de Varsovie, mais aussi Gdansk et Cracovie


On assiste donc progressivement à la reconquête des outils de l’écriture postale : le tampon, l’enveloppe et le timbre. 

Dans cette entreprise, l’objectif est de produire des objets sur bien des aspects absolument identiques à ceux produits par la Poste polonaise officielle. 


Les timbres portent un prix, sont de différentes tailles et dentelés, même si le papier est rarement autocollant. 





Il s’agit moins de produire les timbres les plus satisfaisants techniquement et artistiquement, que de concurrencer le pouvoir sur ses propres écritures, sans négliger d’intéresser les collectionneurs. Le timbre est aussi l’objet de pratiques locales, telles que des procès-verbaux d’un genre nouveau : par exemple, cette grande feuille tamponnée avec un texte de soutien pour une grève de la faim et signée par plus d’une quarantaine de personnes

« Kielce Piaski/ Grève de la faim et de protestation – 13-22 VI…
. Singeant une pratique bureaucratique, l’usage des tampons et des timbres a pour fonction de donner de la valeur à la déclaration de soutien, de la « valider » par l’écrit

Ne pleure pas... camp de Grodkow 08-10-1982


Si le timbre peut être aussi un mini-tract, le tampon est également utilisé comme un exercice d’ironie à l’égard de l’écriture officielle et en particulier de la censure ; certains internés se sont ainsi fabriqués des tampons « bez cenzury » (sans censure) ou « bez kontroli uboli » (sans contrôle de la police secrète).




Alors que les internés continuent d’utiliser leur poste clandestine au sein des prisons et des camps, une autre poste se met en place qui, elle, concentre son activité sur la production des symboles postaux. Celle-ci n’a pas vocation de permettre la circulation clandestine de correspondance, mais plutôt d’affirmer une identité et d’en assurer sa publicité. Il s’agit d’une poste sans postier ni courrier : une poste qui n’aurait conservée que ses inscriptions. Aussi, les timbres, flammes, tampons, enveloppes, cartes sont d’une part le support d’une écriture inédite d’une identité polonaise, et d’autre part des objets susceptibles d’être collectionnés

Les timbres étaient très variés en taille, tirage, composition…

Or, cette double pratique autour de l’objet postal issue des camps d’internement contribue à la solidarité qui se développe dans et hors de la Pologne, notamment en France.

Censure intérieure d'un courrier parti de POZNAN à destination de VARSOVIE

Usages du passé

Sur les timbres qui sont le fait des imprimeries clandestines – c’est en effet à partir des chutes de papier de la presse clandestine qu’ils sont réalisés – les militants écrivent leur lutte d’alors ; ainsi nombre de planches de timbres portent sur les principaux leadersdu mouvement à commencer par Lech Walesa

 Les symboles religieux ne sont pas absents et le pape Jean-Paul II est souvent représenté. Mais les timbres et tampons sont aussi le lieu d’une écriture d’une histoire de la Pologne non censurée avec sa galerie de héros de l’histoire nationale, et notamment les insurgés d’août 1944



Cette évocation du soulèvement des partisans après le débarquement allié et de ses quelque deux cent mille victimes est alors faite par la valorisation de la poste clandestine avec ses timbres et ses postiers qui, au péril de leur vie, distribuèrent les lettres de l’armée polonaise et la correspondance civile. C’est la première fois que ces jeunes héros furent loués (pour le régime communiste, l’insurrection était un non-événement), et pour les militants des années 1980, il s’agit bien de se référer à cette mémoire collective et, à travers les objets postaux, de la populariser.
Mais les timbres et tampons sont aussi le lieu d’une écriture d’une histoire de la Pologne non censurée avec sa galerie de héros de l’histoire nationale, et notamment les insurgés d’août 1944




La planche permet cette histoire en image qui fait voisiner la victoire de 1920 contre les Soviétiques, la jeunesse résistante de 1944 et les internés de l’état de guerre de 1981-1982

 Aussi, alors que la reprise de la pratique de la poste clandestine en internement relevait d’une finalité pratique et constituait une appropriation au sens de Roger Chartier, ici se lit explicitement le souci d’en référer à une mémoire partagée dans laquelle les événements de l’insurrection de Varsovie jouent le rôle le plus important

 Comité de défense des ouvriers (en polonais :
Komitet Obrony Robotników, KOR

Les timbres fabriqués par Solidarité étant inutilisables, exposant leurs usagers à des risques de représailles policières, voire à une arrestation, la grande majorité des objets postaux étaient donc destinés à rester dans la sphère privée, et ainsi à être collectionnés plutôt qu’utilisés. En Pologne, l’opposition développa et encouragea une forme de philatélie militante qui rencontrait une passion pour la rareté. Des catalogues furent réalisés très rapidement pour identifier et référencer chaque timbre ; les plus recherchés furent ceux qui provenaient des camps d’internement comme ces tampons conservés dans une brochure de Kielce de 1983 vendu au pris de cinquante zlotych et intitulée : « Documents… Tampons de taule/ Par les soins des Éditions La parole libre, Solidarité

groupement Foudre 


La cinquantaine d’impressions au tampon majoritairement rouges avaient de nombreux motifs : des ex-libris, des timbres, des écrits avec la même police de caractères que le logo de « Solidarité », des dessins représentants un fil de fer barbelé ou une fenêtre grillagée.

Ainsi, tant les catalogues que les objets circulent, dans le pays comme à l’étranger. Tout se passe comme si le territoire de soutien de Solidarité était bien plus grand que la Pologne communiste et que seuls les timbres et les tampons pouvaient en couvrir le périmètre. Les objets postaux ainsi vendus permettaient de financer en partie les activités clandestines de Solidarité et d’impliquer la population.



Jerzy Popiełuszko (Alfons Popiełuszko) est un prêtre catholique polonais né le 14 septembre 1947 et assassiné le 19 octobre 1984. Aumônier du syndicat Solidarność, il est l'une des figures emblématiques de la lutte contre le régime communiste en Pologne.
Il a été béatifié le 6 juin 2010 à Varsovie.

Tract Rendez-nous le père Popieluszko collection JMB
Cette politique de visibilité poursuivait celle initiée par le logo de Jerzy Janiszewski dont on connaît le succès. Elle constituait en outre une source de financement non négligeable ; la vente de tout ce matériel de militant (pins, autocollants, posterstee-shirtsetc.) assurant à chaque groupe la possibilité de disposer d’un peu d’argent. 

j'ai 8 ans / J'ai 40 ans 

L’avantage des timbres était en outre que, minuscules, ils prenaient une place modeste et très discrète ; aussi, lorsqu’un Polonais se rendait à l’étranger, il pouvait en transporter sans grande crainte. Chaque voyageur se faisait messager, non d’une lettre mais de vignettes qui, à leur tour, une fois distribuées, circuleraient sur le dos d’une enveloppe. Beaucoup de Français, syndicalistes, intellectuels, catholiques, etc. firent le voyage en Pologne également par solidarité


Aux victimes de Katyn
Confédération polonaise indépendante 

Les timbres franchirent les frontières dans les poches des uns et des autres. En France, les matériaux postaux de Solidarité étaient collectionnés mais aussi collés sur les lettres pour montrer son soutien aux Polonais en lutte. Aujourd’hui très fréquente (la majorité des organisations humanitaires produisent des timbres-vignettes), cette pratique de propagande a été développée massivement par Solidarité, bien qu’auparavant, il en avait été fait usage ailleurs (s’agissant notamment du soutien aux Argentins pendant la dictature, comme lors de l’appel au boycottage de la Coupe du monde de football en 1978 par exemple).

liste des démis de leurs fonctions de l'école polytechnique
de Varsovie  en novembre 1985

La nouveauté du cas polonais réside dans le fait qu’il s’agit par cette étrange poste de concurrencer le modèle communiste et de démontrer au monde qu’il existe deux Pologne. 
Au visage de Lénine, on préfère sur le timbre celui de Walesa. Car, de même que les jeunes postiers incarnaient l’avenir de la nation polonaise, ces vignettes incarnent une Pologne indépendante avec une gamme de nouveaux symboles et un pays bientôt à venir. Une même entreprise unissait le petit scout de l’insurrection et le jeune homme de Solidarité ; et le courrier de fixer le symbole de cette continuité. Autrement dit, l’objet vignette est lui-même porteur de cette valeur de résistance.


Polonais ne vote pas Collection JMB

sources :

La poste clandestine en Pologne
Histoire et mémoire d'une pratique depuis l'insurrection de Varsovie jusqu'aux années 2000
Philippe Artières et Pierre Mallia

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