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22 mars 2016

Croiseur Cuirassé Léon Gambetta coulé par le sous-marin Autrichien U-5

Croiseur Cuirassé Léon Gambetta coulé par le sous-marin Autrichien U-5 27 avril 1915

Avec une amie philatéliste venue prendre des nouvelles de ma santé, nous en sommes venus à parler de bateaux et du Léon Gambetta. Et elle m'a raconté que le frère de son grand père était péri en mer lors du torpillage du bateau. Quelques recherches plus tard... voilà ce que l'on peut en dire.



Fiche de Léon Colas mort pour la France 


L'Unterseeboot 5, de type U 5 pour la Marine austro-hongroise, a été mis en chantier en février 1909 et lancer le 1er avril 1910 Il est mis au rebut en 1920
La flotte austro-hongroise est basée à Pola et Cattaro (Trieste ne paraît pas assez autrichienne). De là, la Méditerranée lui est ouverte, ainsi qu'à son alliée l'Allemagne, qui assemble à Pola des sous-marins envoyés en pièces détachées par voie terrestre.


Suite à l'accord naval franco-britannique de février 1913, la mer Adriatique est placée dans la zone de commandement dévolue aux Français en Méditerranée occidentale.

Le commandant du Léon Gambetta était le capitaine de vaisseau André ; à son bord se trouvait également le contre-amiral Sénès, commandant de la 2e division légère de l’Armée navale. 

Quelques minutes après minuit, le navire croisa la route du sous-marin autrichien U 5, commandé par le lieutenant de vaisseau Georg von Trapp.


En mars 1915, un plan de blocus est établi, précisant les points de ravitaillement et de rendez-vous pour la division de l'Adriatique, ainsi que des routes de patrouille.

L'opération de débarquement dans les Dardanelles a échoué.

Plus que jamais, il faut aider l'armée serbe.
Or, le canal d'Otrante grouille de sous-marins ennemis et les équipages des vapeurs refusent d'appareiller.
En attendant l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés des alliés, une ligne de croisière est établie entre le cap Santa Maria di Leuca, à l'ouest, et l'île Sainte Maure, à l'est.


Quatre croiseurs cuirassés " Victor-Hugo, Jules-Ferry, Waldeck-Rousseau, Léon-Gambetta" font chacun leur tour un quart du trajet.




Dans la nuit du 26 au 27 avril, une nuit de printemps calme et paisible, sans Bora glacée ni Sirocco brûlant, c'est le Léon-Gambetta qui est dans "la gueule du loup".
Dans les soutes, il ne lui reste que 400 tonnes de charbon.
C'est que, dès le lendemain, il doit regagner Malte, pour charbonner, et, aussi, pour permettre à l'équipage de prendre un peu de repos.
 

L’U 5 était parti de Cattaro le 24 avril ; l’équipage était composé du commandant, d’un deuxième officier et de 14 sous-officiers et marins. Comme il n’était pas équipé de radio, sa mission était simplement de longer les côtes du Monténégro et de l’Albanie, à la recherche de navires à couler.

Lorsque la vedette du sous-marin découvrit la silhouette du croiseur français, le sous-marin se mit aussitôt en immersion, à huit mètres de profondeur. Deux torpilles furent lancées l’une après l’autre à 00 h 40. La première explosa à la hauteur de la paroi qui séparait les dynamos de la salle des machines, la deuxième à l’arrière de la passerelle. Le croiseur s’inclina aussitôt de 15° à bâbord. Les tirs avaient porté un coup fatal au croiseur, mettant hors d’usage l’alimentation électrique et les chaudières du navire. Pire encore, il était impossible de lancer un SOS par radio, car les explosions avaient endommagé l’antenne de transmission.






Plusieurs dizaines de marins restèrent bloqués dans les entrailles du navire, dans la plus complète obscurité. À cause de la forte inclinaison, il était presque impossible de mettre à l’eau les chaloupes de sauvetage du croiseur et une fois dégagées, ces dernières se fracassèrent sur le pont, causant la mort de nombreux marins. Les survivants jetèrent à la mer tous les morceaux de bois qu’ils pouvaient trouver, dans l’espoir de pouvoir s’y agripper une fois que le croiseur aurait coulé. Par miracle, il fut possible de mettre à la mer une chaloupe, mais elle était prévue pour accueillir seulement 58 personnes.






Tandis que le croiseur s’enfonçait rapidement dans les flots, les hommes de la chaloupe recueillirent les marins tombés en mer : 70, 80, 90 puis 108 hommes se retrouvèrent à bord… Le niveau de la barque baissa dangereusement mais fort heureusement, cette nuit-là, la mer était très calme. Les naufragés n’avaient guère de possibilités d’être secourus : les autres navires ignoraient tout du torpillage, étant donné que les communications radio étaient habituellement interrompues dans la nuit.







Le sauvetage



Selon les dépositions des survivants recueillies le 4 mai 1915 , la chaloupe n° 16 atteint Santa Maria di Leuca à 8 h 30 du matin, avec 108 survivants à bord. Un des survivants, Hyacinthe Tourrel, déclara : « Des barques de pêche nous ont croisés et ont offert de nous prendre, mais nous avons refusé leurs offres dans la crainte de faire chavirer le canot n° 1 où nous avions tant de mal à nous maintenir ». En réalité, il s’agissait de barques de pêche se trouvant à quelques centaines de mètres du rivage. Ces dernières patrouillaient dans la zone pour rechercher une ancre perdue cinq jours auparavant par le contre-torpilleur Irrequieto. Ces barques de pêche étaient commandées par le responsable du sémaphore local, Mario Sandri, qui conduisit les rescapés à terre, les recueillit de son mieux et appela le bureau du télégraphe de Castrignano del Capo, non loin de Santa Maria di Leuca, qui alerta aussitôt les ports de Tarente et Brindisi à 8 h 35. Les télégrammes furent reçus à 9 h 10, et le ministère italien de la Marine fut averti par la base de Brindisi.




Le capitaine de frégate Gaetano Pepe, commandant la défense de Brindisi, fit immédiatement partir les torpilleurs 33 P.N. (commandant Gualtieri Gorleri) et 36 P.N. (commandant Enrico Viale) de la 8e escadrille. Navigant à une vitesse de 24 nœuds, les torpilleurs arrivèrent à 13 h 20 sur le lieu du naufrage. Ils réus­sirent à sauver 27 naufragés, dont 9 sous-officiers. 


Dans sa déposition, le premier maître fusilier Grall déclara avoir été recueilli par le torpilleur italien 33 P.N. vers 3 heures de l’après-midi. Les torpilleurs Indomito et Intrepido, provenant de Tarente, arrivèrent peu après. Ils recueillirent deux survivants et retirèrent de l’eau 58 cadavres, dont celui celui de l’amiral Sénès, qui furent identifiés et enterrés par la suite à Castrignano. Pendant ce temps, de Tarente, le vice-amiral Cerri ordonnait à la 2e escadrille, commandée par Piero Orsini, de partir en toute hâte avec des vivres, des médicaments et des vêtements.

Il est à noter que dans leurs dépositions, les marins Grall et L’Hotellier déclarèrent avoir vu le sous-marin en matinée naviguer en surface au milieu des épaves sans essayer de leur porter secours, ce qui contredit le témoignage de Von Trapp, qui, dans ses mémoires, déclara s’être éloigné immédiatement après le torpillage. Comme l’Italie était encore « officiellement » un pays neutre, le fait que les naufragés aient été sauvés par des navires italiens et non français empêcha certainement les Autrichiens de commettre d’autres torpillages ce jour là…

Ne trouvant plus de survivants ni de cadavres, les torpilleurs 33 P.N. et 36 P.N. rentrèrent à Brindisi pour y ramener le plus tôt possible les survivants. Ils arrivèrent au port vers 21 h ; les naufragés furent amenés directement à l’infirmerie où ils furent soignés, habillés, leurs familles étant informées du sauvetage de leurs proches.




Les marins furent, semble-t-il, extrêmement bien accueillis par la population locale. Selon un rapport du consul de France à Naples, « La population de ­Brindisi a offert à nos marins des vins fins, des cigares et des cigarettes et une gerbe de fleurs aux couleurs italo-françaises ». Le même consul se rendit également à Castrignano, où il rendit hommage aux tombes des 58 marins dont les corps avaient été récupérés :






Au cimetière j’ai trouvé les tombes de nos malheureux naufragés parfaitement distinctes alignées les unes à côté des autres surmontées d’autant de croix de bois sur chacune desquelles est inscrite un numéro correspondant à une liste qui est établie par la commune et dont j’ai demandé qu’on m’envoyât une copie. Tous les ensevelis ont été identifiés grâce aux indications fournies par les survivants : parmi ceux-ci se trouvait un corse qui a servi d’interprète.

Dans ce même rapport, le Consul suggérait de rembourser les frais d’inhumation et d’étudier la possibilité de faire édifier un monument funéraire.
Les hésitations de l’Ambassade




Comme nous l’avons vu précédemment, les communications entre les croiseurs français effectuant le blocus naval étaient interrompues la nuit. Pour cette raison, ce fut donc le gouvernement italien qui informa les autorités françaises du drame qui venait de se dérouler.






Dans son rapport au ministre de la Marine, l’attaché naval à Rome, le lieutenant de vaisseau d’Huart, déclara en avoir été informé le 27 avril, à 10 heures du matin, suite à un appel du commandant Galleani, chef de cabinet du ministre de la Marine, qui avait reçu un télégramme de Santa Maria di Leuca annonçant qu’on venait de recueillir une soixantaine d’hommes provenant du Gambetta et demandant l’envoi d’urgence de secours. Le 28 au matin, Galleani confirmait que 137 marins avaient été sauvés, 27 se trouvant à Brindisi et 110 à Santa Maria di Leuca (les 108 marins du canot et les 2 survivants récupérés par l’Indomito). Les Italiens remirent une liste des 110 survivants de Leuca, ainsi qu’une liste des 58 cadavres recueillis et enterrés à Leuca.




Dans un premier temps, l’ambassadeur de France pensa envoyer Huart à ­Syracuse, le lieu d’internement choisi par les autorités italiennes, pour assister les naufragés mais « sur le désir manifesté par le ministre des Affaires étrangères et en raison de la situation politique actuelle il fut convenu de différer [son] voyage jusqu’à nouvel ordre ». Il s’agissait bien évidemment de la signature du pacte de Londres entre la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, cette dernière s’engageant à entrer en guerre aux côtés des alliés dans les trente jours qui suivaient la signature du pacte secret.

Le ministre de la Marine approuva cette décision, et envoya le télégramme suivant à Huart : « Vous vous présenterez en mon nom au ministère de la Marine à Rome, pour remercier la Marine et les autorités italiennes de l’empressement généreux avec lequel elles ont porté secours aux naufragés du Léon Gambetta. Cet événement resserrera les liens fraternels qui doivent unir les marines de France et d’Italie ».

Cette journée fut marquée, comme on peut l’imaginer, par une intense activité diplomatique. Dans un télégramme envoyé le même jour, l’ambassadeur Barrère communiquait les déclarations que Sonnino, le ministre des Affaires étrangères italien, lui avait faites :


Les dix jours qui vont suivre, m’a-t-il dit, seront pour nous d’une extrême difficulté vis-à-vis des Puissances germaniques et de certains éléments neutres. Nous savons que le 1er mai des influences suspectes tenteront de provoquer des manifestations pacifistes. Il importe que rien ne se fasse qui soit pour leur prêter la main. C’est, en somme, une affaire de quelques jours, et, en attendant, vous pouvez être certain que vos marins seront l’objet de tous les soins et bon procédés que nous leur devons.




Alors qu’à Rome, tout était fait pour éviter un fâcheux incident diplomatique (Sonnino avait laissé entendre qu’il aurait été mieux de n’envoyer que le consul de Palerme à Syracuse), une initiative personnelle d’un capitaine de frégate, Jules Docteur, le commandant du Jurien de la Gravière, risqua de provoquer, sans qu’il s’en rende compte, un incident diplomatique entre les deux pays. En effet, le même jour, ce dernier télégraphiait à son ministère de tutelle : « En ralliant ­croisière je toucherai incognito Syracuse avec Jurien de la Gravière pour y prendre des renseignements que je vous transmettrai immédiatement ». Fort heureusement, comme nous le verrons plus loin, le passage de Docteur à Syracuse ne provoqua pas d’incidents diplomatiques, « le commandant ayant su passer presque inaperçu », pour reprendre les termes de l’attaché naval.
Le transfert des rescapés à Syracuse

Les naufragés débarquèrent à Syracuse en deux temps : l’Eritrea y arriva le 29 avril à 17 heures avec 101 matelots et 9 sous-officiers, suivi par le Città di Messina qui y débarqua le 3 mai 1915, les 27 derniers survivants provenant de Brindisi. Le vapeur Città di Messina était alors commandé par Giovanni Bertolini, qui décrivit en octobre 1916 les conditions du voyage :

Je soussigné, commandant du navire hôpital militaire italien Konig Albert, déclare que les survivants du Léon Gambetta ont été transportés en partie de Brindisi à Syracuse, le 3 mai 1915, par le vapeur Città di Messina que je commandais à cette époque : ces survivants ont été traités comme des passagers de 1re classe, parce qu’ils étaient sujets français et comme tels dignes d’une attention fraternelle.

Chacun d’eux a été placé dans une cabine de 1re classe, afin qu’il puisse mieux se reposer et les repas ont été servis, par des garçons du bord, sous ma surveillance, de la façon suivante :

Matin : Café – lait et biscuits

Second déjeuner : hors d’œuvre – bouillon – deux plats – fruits et fromage – pain et vin à discrétion

Dîner : hors d’œuvres, pâte cuite (réclamée par tous) trois plats – fruits et fromage – entremets – café – pain et vin à discrétion

Déclaration de Giovanni Bertolini faite au consul de Palerme le 16 octobre 1916.

J’ai aussi donné l’ordre de leur servir du thé et du café, entre les repas. […] Pendant la traversée – à 3 h de la nuit – nous avons été arrêtés par le navire de guerre français Casa-Blanca qui croisait dans ces eaux – et quand notre mission délicate fut connue, je reçus de chaleureux remerciements.

Encore une fois, « l’attention fraternelle » témoignée par le capitaine et son équipage allait bien au-delà de la stricte neutralité que devaient en théorie observer les militaires italiens. Le commandant Bertolini avait-il déjà reçu des instructions officielles en ce sens ? Impossible de le savoir.





L’internement à Syracuse


L’accueil réservé aux marins français à leur arrivée à Syracuse fut triomphal. Dans sa déposition du 30 mai 1915 recueillie à bord du Courbet, Eugène Le Bail, maître manœuvrier, à la question « les Allemands qui étaient à Syracuse ont-ils manifesté à votre arrivée ? », répondait : « non. Les équipages des navires de commerce allemands et autrichiens ont simplement souri, la population était pour nous et a lancé le lendemain des cailloux sur les bâtiments de commerce ennemis ». Ces propos sont confirmés dans une autre déposition, celle de Louis Albertini, matelot breveté manœuvrier : « nous avons été conduits à Syracuse sur le cargo Eritrea. Nous sommes arrivés à 8 h du soir à Syracuse où les soldats faisaient la haie sur notre passage, la population nous a acclamés, nous sommes arrivés à la caserne à 9 h 30 du soir ».

À leur arrivée à Syracuse, les marins français reçurent les visites de M. Broggi, agent consulaire français, et du vicomte Gaëtan Guillaume Combes de Lestrade, un noble français résidant dans les environs. Ce dernier, dans un courrier daté du 6 mai 1915 adressé à l’Ambassadeur de France, faisait des déclarations pour le moins intéressantes : « Le vendredi 30 je ne pus courir à Syracuse bien que prévenu de l’arrivée de nos marins. Je recevais le corps [lire « chef ») des officiers du 148° (75° dédoublé), le colonel à son arrivée m’a affirmé que nous étions désormais alliés et que par suite il pouvait parler librement […] ».





Dans une longue lettre écrite en 1918, ce dernier décrivait avec une fausse modestie son action :


Lorsque la nouvelle du torpillage du Léon Gambetta parvint en Sicile, j’y étais occupé à mener vers nous les sympathies indécises. C’était un mois environ avant l’intervention de l’Italie, vingt jours avant la démission éphémère du cabinet ­Salandra. On sût le lendemain que les survivants viendraient à Syracuse. Sachant combien ils y seraient seuls et isolés, comprenant combien leur serait douloureuse au lendemain de la terrible épreuve l’arrivée dans un pays dont les sentiments leur étaient inconnus, je me hâtai de quitter ma résidence, d’aller les recevoir, en amenant ma famille, de façon à leur rappeler la leur. 


Les Autorités Militaires d’alors quoique observant une grande réserve et affectant une certaine froideur, m’accordèrent les plus larges facilités personnelles. Il me fut possible d’obtenir pour nos marins de larges aises matérielles. On me permit de les voir à tout instant, autant les valides à la caserne que les blessés à l’hôpital. Après m’y être fait autorisé par SEM l’Ambassadeur, j’avançais de quoi faire le service de la solde. Par ailleurs, je fus très heureux de pouvoir les aider à se vêtir, etc. Surtout, grâce à leur excellente nature, je parvins à éviter en eux tout découragement, toute irritation, toute incorrection, en vivant avec eux et en leur prouvant ainsi que la France ne les oubliait pas, puisque le seul Français qui fut là se consacrait à eux. […] 

Ils me prouvèrent encore mieux leur reconnaissance par leur conduite à Syracuse. On s’y souvenait de l’attitude barbare des matelots allemands, au printemps de l’année précédente. On y redoutait l’exubérance des nôtres. Ils ne commirent même pas une légèreté. Ils acceptaient ma surveillance. Je n’eus jamais à les gronder. Lorsque j’allais les prendre à la caserne pour les amener sur le Courbet, la population entière les acclamait. Ils nous avaient gagné la sympathie de la ville et de la région. J’ai la faiblesse de croire que, dans leur parfaite conduite, leur affection pour moi entrait pour quelque chose.



Son premier entretien officiel fut avec le comte Perrier de Laconnay, l’aide du camp du général. Comme son nom l’indique, Perrier de Laconnay était d’origine française, ce qui était de bon augure pour le consul, qui déclarait dans son rapport : « Il appartient à une des meilleures familles de la Savoie et il n’a pas oublié son origine. C’est un véritable ami de la France – tous ses camarades partagent du reste ses sentiments vis-à-vis de notre pays ».


Le consul eut ensuite un entretien avec le général. Ce dernier fut, semble-t-il, plus prudent qu’avec le vicomte de Lestrades. Le général déclara que les rescapés seraient traités selon les termes de l’article 15 de la convention de la Haye.

Le consul, ignorant que le pacte de Londres avait été signé et que l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés des Alliés était imminente, attira l’attention du général sur les risques liés aux « inconvénients de toute nature pouvant résulter de l’oisiveté forcée de [nos] marins pendant de longs mois ». Il demanda s’il n’était pas possible de permettre à ceux d’entre eux connaissant un métier de l’exercer. Le général répondit qu’il avait demandé des instructions sur le sort réservé aux matelots internés et qu’elles ne lui étaient pas encore parvenues. Dans son rapport, le consul précisait : « J’ai su depuis que le travail fait défaut à bon nombre d’ouvriers qui redouteraient une concurrence étrangère ».





Le consul fut autorisé à se rendre à la caserne pour voir les survivants du Léon Gambetta, une partie d’entre eux étant arrivée le matin même à bord du vapeur Città di Messina, provenant de Brindisi. Comme le vapeur appartenait à la Compagnie des Chemins de fer de l’État, le consul fit noter que le 2e paragraphe du renvoi de l’article 15 de la convention de la Haye – selon lequel les marins avaient été « recueillis par un navire de commerce d’une nation neutre sans avoir reçu aucune mission des belligérants », pouvait s’appliquer. Il lui fut promptement répondu que le Città di Messina ne pouvait pas être considéré comme un navire marchand, ayant été transformé en croiseur auxiliaire.

Les marins furent réunis dans la caserne. Après un bref discours au cours duquel il fut demandé aux marins de crier « Viva l’Italia ! Vive la France » pour exprimer leur reconnaissance, le consul s’enquit des besoins des marins. Même si les marins étaient bien vêtus (ils avaient en effet reçu des uniformes de la marine italienne sans signes distinctifs), ces derniers déclarèrent manquer « d’argent de poche » et de vêtements « de dessous ». En effet, selon le point de vue des autorités italiennes, ces dépenses rentraient dans la catégorie des « frais d’hospitalisation et d’internement » prévus par l’article 15 de la Convention de la Haye et devaient de fait être supportées par l’État dont relevaient les naufragés. De plus, les marins français avaient reçu les mêmes effets que les marins italiens. Or, assez étrangement, les chaussettes n’étaient pas fournies par l’administration militaire, par conséquent les marins français ne pouvaient pas en recevoir non plus.

Dans l’après-midi, le consul visita à l’infirmerie de la caserne les trois marins qui y étaient soignés : Le Gall (premier maître canonnier), l’électricien breveté Roger Leriche et Hyacinthe Tourel. Les blessés déclarèrent être « gâtés ». Le même après-midi, le consul communiqua au général son intention de réunir à l’agence consulaire le lendemain à 16 heures les survivants du Léon Gambetta susceptibles de fournir des informations intéressantes sur le torpillage du croiseur. Une fois encore, le général, qui tenait à ce que les marins français soient traités comme les soldats italiens placés sous ses ordres, ne put accorder immédiatement son autorisation : en effet, les soldats n’étaient autorisés à sortir de la caserne qu’entre 17 heures et 21 heures. L’accord fut donné le lendemain par le nouveau commandant de Corps d’armée, qui se trouvait à Syracuse en tournée d’inspection. Il consentit à laisser sortir « quelques sous-officiers seulement en dehors des heures règlementaires pour éviter toute manifestation en ville », contre la promesse du consul de les accompagner ou de les faire accompagner par M. Broggi à la caserne lorsque leur présence à l’agence consulaire n’aurait plus été nécessaire.



Navire hôpital ASIE



Le rendez-vous à l’agence consulaire, prévu à l’origine à 16 heures, eut lieu en réalité à 14 heures, pour permettre au capitaine de frégate Jules Docteur, commandant du croiseur « Jurien de la Gravière » arrivé dans la matinée à Syracuse, d’assister à l’entretien.

Le ton du rapport rédigé par le capitaine de frégate Docteur30 tranche nettement avec le ton des rapports de l’attaché naval Huart, du consul de France à Palerme Rodde et du Vicomte de Lestrade. Autant ces derniers insistaient sur l’attitude francophile des autorités italiennes et de la population locale, autant le rapport du capitaine de frégate Jules Docteur se distinguait des autres. Son auteur était-il d’un naturel particulièrement méfiant ou bien ce dernier se fondait-il sur des informations précises ?


Entré dans ce port avant le jour, à cause du voisinage possible d’un sous-marin ennemi signalé à Taormina… Mais à cause des sentiments gallophobes de la société de la Ville et pour éviter toute manifestation, il nous fut recommandé de séjourner peu de temps à la caserne. Je m’y rendis en civil avec l’agent consulaire et le Consul Général qui avait eu assez de difficultés pour obtenir l’autorisation d’emmener à l’Agence Consulaire les gradés et les hommes qui avaient des dépositions intéressantes à effectuer… […] La présence sur les côtes est de la Sicile d’un sous-marin autrichien, signalé le 2 mai à Taormina paraît confirmée par plusieurs témoignages. L’imagination sicilienne l’avait même vu le matin de mon arrivée dans une baie à 4 milles au Nord de Syracuse. J’ai fait patrouiller toute la journée des canots à vapeur sans qu’ils découvrent aucun indice. Cependant il est possible qu’un sous-marin ait pris comme base de ravitaillement une baie voisine de ­Syracuse. La société de cette ville est nettement gallophobe. Les propriétaires et le personnel des hôtels sont allemands, sept navires allemands y sont réfugiés, dont un chargé de pétrole est mouillé au milieu de la baie et peut très aisément faire porter dans le voisinage pendant la nuit quelques tonnes de pétrole. Il y a donc possibilité pour un sous-marin ennemi d’avoir dans les environs de cette ville un centre de renseignement et de ravitaillement. Les petits voiliers ou vapeurs partant de ce port à destination de l’entrée de l’Adriatique doivent être également particulièrement surveillés.

Ce pétrolier allemand était interné à Syracuse depuis 9 mois. Le capitaine du port promit de le faire surveiller, pour plus de sécurité, et Docteur suggéra au vicomte de Lestrade de payer deux ou trois canots de pêche pour contrôler les mouvements de l’équipage du pétrolier.

Quelle fut la vie des marins français à Syracuse ? Dans l’ensemble, les marins français y furent admirablement bien traités, voire trop, car il semble qu’un banquet offert aux sous-officiers français par leurs camarades italiens fut à l’origine de réclamations des consuls allemand et autrichien. Afin de respecter une stricte neutralité selon les termes de la Convention de la Haye, les horaires de sortie furent limités (de 17 heures à 21 heures, comme pour les militaires italiens). ­Lestrade fournit aux marins français des effets de rechange, du savon, du tabac et des nécessaires pour la correspondance. Ayant reçu l’accord de l’Ambassade, il avança même 2 000 francs à l’agent consulaire. Cette somme fut remise à Grall, qui donna 5 francs à chacun (cette somme devait suffire pour les dépenses de quelques jours).



Le consul et le commandant du Jurien de la Gravière avaient recommandé aux sous-officiers des huit sections des survivants du Léon Gambetta  d’être excessivement sévères en vue d’éviter des réclamations des autorités locales, pour ne pas créer de problèmes diplomatiques.

Les autorités italiennes cherchaient elles aussi de leur côté à éviter tout incident diplomatique. Dans sa lettre envoyée au ministre de la Marine Augagneur, le consul de Palerme citait les déclarations de Perrier de Laconnay, l’aide du camp du général commandant la place de Syracuse :


[…] Pour vos vaillants compatriotes, nous avons cherché d’éviter toute mesure de surveillance qui eut pu les froisser, nous remettant complètement à leur bon sens naturel et au sentiment de discipline qui les distingue. […] Pour concilier les normes des conventions avec le moyen de les tenir en dehors de la caserne, on a établi un horaire avec trois heures d’instruction extérieure – le matin – pendant lesquelles, sous le commandement de leur capitaine d’armes, ils font des jeux en plein air – du pas de gymnastique – ou bien ils travaillent au gymnase. […] Dès demain (10 mai) la sortie libre de l’après-midi n’aura plus lieu par groupes, mais sera tout à fait libre individuellement, en vue de la bonne conduite disciplinaire qu’ils ont tenue. Nous avons cherché de ne pas faire peser la surveillance voulue par l’article 15 de la convention en nous fiant, comme j’ai dit, à leur bon sens pour ne pas créer d’ennuis à mon général qui seraient pour lui bien graves.



Dans un autre courrier adressé au ministre de la Marine, le consul précisait que « certaines précautions ont dû être prises, en vue de les soustraire à la curiosité de personnes suspectes. Il faut entendre par là les espions qui sont – ou du moins étaient nombreux à Syracuse : les autorités militaires ont tenu également à éviter toute cause de dissentiment entre nos matelots et la population de cette ville ».

Les marins étaient logés dans des chambrées qui leur avaient été réservées à la Caserne Statella, les sous-officiers ayant des chambres à part. Les sous-officiers prenaient leurs repas à part à raison de 2 lires par jour, comme cela était l’usage dans l’armée italienne. Quant à eux, les matelots recevaient le matin 25 cl de café et 750 gr de pain pour la journée, 200 gr de viande, 200 gr de pâtes et 25 cl de vin, et enfin 200 gr de viande et 25 cl pour le dîner.


Mais cette situation ne devait pas durer indéfiniment. Dans son rapport du 10 mai 1915, l’attaché naval précisait : « Deux points paraissent avoir une certaine importance : la désoccupation et le règlement de la solde, mais il y a lieu à retenir que l’internement des marins à Syracuse sera d’une courte durée […] ».
Le départ de Syracuse (30 mai 1915)



En effet, le 24 mai 1915, l’Italie déclarait officiellement la guerre à l’empire ­austro-hongrois, abandonnant de fait la neutralité observée depuis le 3 août 1914. Pour cette raison, les marins français internés à Syracuse pouvaient être rapatriés en France, même si une dépêche de l’Associated Paris du 23 mai 1915 déclarait : « Syracuse French sailors battleship Gambetta asked be sent fight with Italians against Austria revenge their dead brothers ». Bien évidemment, il s’agissait d’un ­projet difficilement réalisable. Dans sa déposition, Louis Albertini, matelot breveté manœuvrier, déclarait à ce sujet : « Après la déclaration de guerre le commandant de la Place nous a envoyé son aide de camp pour nous avertir que nous étions libres ».

Le 30 mai 1915, les 137 rescapés du naufrage embarquaient à bord du Courbet à destination de Malte. Durant la traversée, tous furent interrogés sur les circonstances du naufrage et les conditions d’internement à Syracuse.

Le drame du Léon Gambetta fut rapidement éclipsé par celui du Lusitania quelques jours plus tard (le 7 mai 1915) et la bataille des Dardanelles. Si le torpillage du croiseur français et la mort des quelques 681 officiers et marins furent trop rapidement oubliés, le traitement bienveillant des rescapés de la part des autorités italiennes constitua la première manifestation de l’alliance franco-italienne officialisée avec la signature du pacte de Londres le 26 avril 1915.




http://www.amedenosmarins.fr/le-leon-gambetta-une-tragedie-oubliee.html



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